vendredi 18 juillet 2008

La porte dans la pendule

«La première force d’une histoire est évidemment de nous transporter en quelques mots dans un autre monde, celui où nous imaginons les choses au lieu de les subir… »


Jean-Claude Carrière 1


Highslide JS



Partir dans la pendule! Tourner la clef de bronze et entendre grincer la porte. Un arrêt sur les marches, je m’assure que l’horloge est bien fermée derrière moi. Je clenche la poignée de porcelaine. Je m’en vais !

Dans la pendule, c’est un peu comme sous l’édredon de chez mamie. Ici, rien de mauvais ne peut vous arriver. On s’enfonce sous le poids des plumes et les draps de gros coton vous calent parfaitement. Le matin, il suffit de se glisser doucement hors du lit. Les couvertures sont restées bien tendues comme si personne ne s’y était posé !

La lumière est douce, juste suffisante pour ne pas sombrer dans le rêve mais que s’installe légèrement vaporeux le décor de la rêverie. Cet univers chimérique est celui du tout possible. Gommer les traits qui vous déplaisent, mélanger les genres, faire réagir les autres à votre guise ou recommencer cent fois une scène jusqu’à ce qu’elle vous convienne tout à fait. Les détails sont de plus en plus nombreux et les songes deviennent troublants de réalité. La réalisation d’un ‘’bon scénario’’, suffit alors à vous faire passer une joyeuse journée.


Comme un matin d’hiver, quand sonne le réveil, il faut s’extirper de dessous la couette. Face à cette agression, on cherche mille solutions. Rester encore un peu dans ce cocon de douceur! Pourtant, même dans ce refuge, il existe un danger, celui de croire à la réalité de ses propres rêveries…


«Les dieux, ou Dieu, personnages changeant d’une histoire humaine, en viennent ainsi à détrôner leurs inventeurs et nous nous prosternons sans résultat devant nos fantômes (…) Nous sommes comme Balzac qui, dit-on, sur son lit de mort, appelait au secours un de ses personnages, Horace Bianchon, seul médecin en qui il eût encore confiance… » 2


Avant de déboucher la petite fiole de poudre pailletée, assurez-vous de posséder l’antidote et son mode d'emploi. Une prise anarchique de la potion vous condamnerait à errer définitivement entre deux mondes. Pratiquer l’art du conte, demande une connaissance essentielle: savoir poser un début et une fin.

Pour ma part, si je reste consciente du détour tortueux que peut prendre l’imaginaire, je choisis quand même de prendre le risque. Cependant, mon petit flacon d’illusion en main, ce n’est pas tant le danger du non-retour que je crains, c’est celui du mauvais chemin…


Faites que jamais je ne me perde sur les routes du «Magicien d’Oz» ou sur celles d' «Alice au pays des merveilles»! Frank Baum et Lewis Carroll sont les deux responsables des plus grands traumatismes de mon enfance. Se perdre sur des chemins sans fin, être bousculé par un lapin en costume, boire le thé avec un chapelier fou, se cacher d’une reine sanguinaire qui hurle: "Coupez lui la tête ! ".


Exemple probant de dérive imaginaire!


Sur ces mots, je vous laisse en compagnie d'Alice et de la Duchesse après une mise en garde qui ne doit pas choquer certains de mes lecteurs. Dans notre société sécuritaire, il est bon d'afficher cet avis:

« Conter peut nuire à la santé »


Restez vigilants !





1 Jean-Claude Carrière, Contes philosophiques du monde entier, Le cercle des menteurs 2, Plon, 2008
2 Idem
***

mardi 8 juillet 2008

Înviere

Highslide JS

Pour comprendre toute la gaieté de «Înviere» (Résurrection/ la Grand Messe), la grande fête chrétienne de Pâques, il faut revenir quarante jours en arrière quand commence «Postul Mare» ou «Postul Paştilor» (le Grand Carême).
«Avant tout le carême est un voyage spirituel et sa destination est Pâques», précisent les orthodoxes. Comme dans le culte occidental, Postul Mare dure 40 jours; mais, contrairement à l'Occident, les dimanches sont inclus dans ce nombre. Le Grand Carême est fixé en fonction de la date de Pâques, qui est une fête mobile. Il commence officiellement un lundi, sept semaines avant Pâques, après «Duminica Izgonirii lui Adam din Rai» (Dimanche de l'expulsion d'Adam hors du Paradis) et se termine le soir de «Sâmbata lui Lazăr» (le samedi de Lazare), la veille du Dimanche des Rameaux, «Duminica Floriilor».
Cependant, les gloutons ne sont pas encore au bout de leurs peines. Le jeûne continue encore une semaine, «Săptămâna Patimilor» (la Semaine Sainte), jusqu'à Pâques !

Cette période de «Post Mare» est caractérisée par l'abstention de certains aliments mais aussi l'intensification de l'aumône, des offices religieux ainsi que de l'effort personnel pour agir en conformité avec la volonté de Dieu.
Les restrictions alimentaires sont assez rigides pour les orthodoxes puisqu’elles interdisent la consommation de toutes les nourritures d’origine animale (poisson, produits laitiers, œufs) mais également du vin et de l’huile. Cependant, le jeûne étant canoniquement interdit le jour de Sabbat et le jour du Seigneur, le vin et l’huile sont autorisés les samedis et les dimanches. Une autre règle explique que si la fête de l’Annonciation, « Buna Vestire » (le 25 mars), tombe durant la période de jeûne, le poisson, le vin et l’huile sont autorisés ce jour-la. On parle alors de «jours déliés» (« zile dezlegate »).

Dans le quotidien et surtout de nos jours, le jeûne n’est, bien entendu, pas respecté de façon scrupuleuse. Beaucoup le réduisent à quelques jours ou à de petits efforts sur les quantités de nourritures. Pourtant, pratiquants ou non, on ne peut ignorer l’entrée en Carême. Les périodes de «post», sollicitent une organisation particulière qui se manifeste de différentes façons notamment dans le paysage urbain. La plupart des commerces placardent, par exemple, leurs devantures d’écriteaux annonçant la vente des nourritures «de Post». Les magasins alimentaires, les restaurants, les pâtisseries ou autres «fast-food» proposent à leur clientèle tout un panel de nourritures spécialement adaptées. A la télévision, à la radio, dans les rues, dans les vitrines, sur les conditionnements, les publicités abondent et informent de l’arrivée des «produits post». Beaucoup de marques alimentaires se félicitent de pouvoir offrir aux clients leurs produits «version post» et de faciliter ainsi leur quotidien. Dans les rues, les pâtisseries et autres «prêt-à-manger» où les citadins viennent se restaurer, on propose «plăcinte»1, «gogoşi»2, «cozonaci»3, feuilletés, sandwichs, saucissons (vive le soja !) et autres nourritures « spécial post». Les librairies mettent en rayon des livres de cuisine spécialement élaborés pour ces périodes de jeûne, de nombreux sites Internet partagent des pages entières de recettes et les magazines féminins à la mode comme «Lumea femeilor» donnent des idées de repas «à la fois diététiques et de post». Bref, c’est la folie !

Cette période se caractérise également par d’autres pratiques. Notamment celles des grands nettoyages. Couvertures, tapis, tapisseries, rideaux draps et tout le linge du foyer est secoué, lavé, séché et repassé. La vaisselle est passée à grand-eau et soigneusement empilée en attente du grand jour. La maison est nettoyée de fond en comble, tout doit être ‘’purifié’’ et paraître neuf. Les plus scrupuleux repeindront même les mûrs! Plus on avance dans le «post» plus on ressent la force de ces fêtes de Pâques. Dans l’air on perçoit le bourdonnement annonciateur d’un grand évènement. Chacun dans une agitation curieusement contrôlée répète les gestes ancestraux. Les plus attentifs remarqueront sur les lèvres, un discret petit sourire, prélude du Grand Jour !

L’importance et la rigueur du Carême dans l’Eglise Orthodoxe est à la mesure de l’importance qu’elle porte à la fête de Pâques. C’est en effet pour la fête de Pâques que se rassemble le plus grand nombre de fidèles dans les pays de tradition orthodoxe. Parfois, bien plus qu'à Noël, contrairement aux pays occidentaux de tradition catholique…

Il va être minuit, nous partons pour l’ «Înviere». Sur le chemin principal qui mène à l’église il fait nuit noire. Pas de panique, il suffit de suivre les autres ! Les villageois sont venus nombreux pour la messe et certains doivent rester dehors. Heureusement pour eux, l’ambiance est si chaleureuse dans la petite église, qu’elle s’est entourée d’un halo. J’observe les lieux. Rien à voir avec nos édifices austères. Dorures, tapis, fleurs et boiseries: j’ai l’impression d’être dans un salon. Sur le mûr de gauche j’aperçois même une grosse montre en plastique qui indique l’heure. Vraiment de tout le confort ! Les heures passent et dans ce cocon de chaleur je me serais presque endormie si subitement les gens ne s’étaient pas pressés vers l’autel. Un cierge dans la main, nous partons chercher la lumière apportée par le «preot». Pour bien se réveiller, un peu d’exercice: trois tours de l’église, bougie à la main.

Tant de monde réuni, mille étoiles dans la nuit. S’est vraiment joli ! Seul point négatif pour un débutant de l’ «Înviere»: apprendre à gérer la cire qui coule sur les mains et la distance avec la manche du voisin. Sinon, c’est merveilleux! De retour dans l’église, dernier chapitre avant la distribution des «Paşti». Dans un récipient que l’on recouvrira d’un linge blanc, le preot verse à chacun le pain et le vin sanctifiés. Dès le lendemain et pendant trois jours, il faudra dès le réveil se laver le visage et manger trois cuillerées de «Paşti» avant de prier. Le rituel effectué on pourra alors commencer à partager, après cette longue période de jeûne, les nourritures festives!
Pour le moment, il est temps de rentrer pour aller se coucher. Dernier repos avant le début de la Grande Fête. Sur le chemin qui nous mène à la maison, de nouveau l'obscurité. Je me guide au son des salutations :

« Hristos a inviat ! Adevarat, a inviat ! »


1 « plăcintă » : sorte de beignet en forme de crêpe généralement fourrées.
2 « gogoaşă » : beignet nature ou fourré.
3 « cozonac » : sorte de brioche traditionnelle