vendredi 28 novembre 2008

Octobre

Highslide JS


'' C’est toujours plus tard qu’on ne pensait. Septembre est passé si vite, plein de contraintes de rentrée. Et, retrouvant la pluie, on se disait «Voilà l’automne» ; on acceptait que tout ne soit plus qu’une parenthèse avant l’hiver. Mais quelque part, sans trop se l’avouer, on attendait quelque chose. Octobre. Les vraies nuits de gel, dans la journée le ciel bleu sur les premières feuilles jaunes. Octobre, ce vin chaud, cette mollesse douce de la lumière, quand le soleil n’est bon qu’à quatre heures, l’après-midi, que tout prend la douceur oblongue des poires tombées de l’espalier. ''

Philippe Delerm


Ref.: Delerm Philippe, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, ‘’le pull d’automne’’, L’ARPENTEUR, Gallimard, 1997

***

Une commande Au Claire de la Lune

Highslide JS


Au Claire de la Lune …

Au Claire de la Lune, brûle une chandelle.
Dans son Atelier, tissus en pagaille
Rubans roses, perles et bouts de ficelle
Ciseau à la main, Claire travaille !

Une robe de soirée,
Une jupe pour flâner,
Bijoux-bonbon fantaisies,
C’est une Artiste de génie !

Venez admirer tous ses beaux ouvrages,
Bagues de réglisse et poivrons rubis
Trouvez votre bonheur sur cette page
Curieux et amateurs, cliquez ici !

Demandez la Lune



mardi 25 novembre 2008

Le Garde-manger

« Zut, j’ai oublié les clefs ! ». Le garage est ouvert. Je peux tout de même accéder à la cave. Mais, pour le reste, tartines, confitures, petits biscuits et mélisse, il faudra attendre que mamie rentre. Se terrer comme un rat dans la cave deux heures durant alors que des trombes d’eau s'abattent dehors, c’est l’idée de joyeux bavardages autour d’un thé fumant qui me fait tenir… Après tout, je n'avais qu'à pas oublier ces clefs !

Je m’assois sur l’escalier. Les coudes sur les genoux, j’observe autour de moi. Cette pièce devrait m’être familière. J’y passe chaque fois que je descends au jardin. Mais en fait, j’y passe mais m’y arrête rarement. Je descends prendre parfois une bouteille de vin, une boîte de petits pois ou je remonte un litre de lait quand mamie accepte que je lui rende service, mais toujours au pas de course.
Cette villégiature forcée me donne enfin l’occasion de profiter de ce secteur négligé avec tous ses objets qui dorment dans la pénombre, méprisés.

A même le sol, filets d’oignons, pommes de terre et sacs de carottes, les réserves sont prêtes pour tout un hiver de soupes. J’imagine déjà les fenêtres embuées et la cocotte-minute sifflant vers cinq heures du soir. Joyeux vacarme d’un après-midi d’hiver qui puise sa matière dans cette caverne d'Ali Baba bien achalandée.

Sur les étagères: caisses à outils, boîtes à vis et planchettes de bois. Rangement maniaque: ‘’chaque chose a une place et chaque chose à sa place’’. Du plus petit jusqu’au plus grand, les clous sont parfaitement triés. Marteaux, scies et pinces multiples sont rangés dans une ancienne caisse de vins de Bordeaux. Comment imaginer nos mercredis d’antan et ses ateliers ‘’travaux manuels’’, si mamie ne maîtrisait pas parfaitement le ‘’secteur bricolage’’ de la cave ?

Sous l’escalier, un magot de pirates. Cagettes pleines de grosses pépites. Elles sont un peu fripées mais feront de merveilleuses compotes ou ''tartes Tatin''. Si le rituel ''lancer de quartiers de pommes devant la télé en regardant Colombo'' pouvait se perpétuer, c’est d’abord parce que mamie prend soin d’enrichir régulièrement le jardin fruitier de cette cave parfumée.

Et puis le garde-manger en bois gris-bleuté. Moi qui avais la prétention de connaître la maison dans ses moindres recoins. Je m’en veux terriblement de n’avoir jamais, lors de mes fouilles hebdomadaires, accordé plus d’attention à cette armoire magique. Des paniers en osier, indispensables quand les épiceries de quartier vivaient encore, sont entreposés au dessus du meuble poussiéreux. A l’heure des "Lidle", "Auchan" et autres supermarchés, on ne les sort guère plus que pour aller aux champignons.


Je me lève et tourne la clef. Le bois a joué avec l’humidité. Je dois un peu forcer sur les portes qui grincent. Ouvrir ce ‘’garde-manger’’, c’est un peu comme ouvrir un coffre à bijoux. Perles vernissées et émaux de verre, bocaux de fruits et pots de confiture. Tous scintillent comme des pierres précieuses. Gelées de framboises et de groseilles, confiture de mirabelles ou de fraises … elles sont rangées par couleur et par année. Bocaux de prunes et de cerises … il y a eu des amateurs, la réserve est déjà bien entamée.

Soudain, j’entends des pas. Mamie rentre avec son ''cadi'' à courses. Je referme promptement les portes du ‘’garde-confiture’’, le trésor doit paraître inviolé!
J’éteins la lumière avant de remonter et de "toquer" à la porte. Tout s’apaise dans l’obscurité de cette cave qui s’endort …

Je continue à venir prendre une bouteille de vin, une boîte de petits pois ou je remonte un litre de lait … toujours au pas de course. Pourtant, lors de mes passages en coup de vent, je prends désormais une seconde avant de refermer la porte. Rotation furieuse de la soupape et effluves de poireaux, coups de marteaux sur planches de bois, vapeurs caramélisées, parfums sucrés et acidulés, perles de cristal et vernis scintillants … une seconde pour que s’anime à nouveau les trésors de cette caverne merveilleuse.



Highslide JS


***

vendredi 7 novembre 2008

Înmormântare

Highslide JS



Pourquoi depuis ce matin, vois-je donc déambuler devant ma fenêtre des petites grand-mères, «basma»1 bien noué su la tête et gilet de laine noire sur le dos? Agitées, volubiles, décidées, rien ne semble capable de barrer leur route. Telles des fourmis opiniâtres, elles véhiculent dans leur migration une multitude d’objets hétéroclites.
En ethnologue avisé, impossible de laisser ce «pourquoi» en suspens... Je me chausse rapidement et enfile mon manteau. Aux aguets, je repère rapidement une proie. En queue de troupeau, une petite vieille, chargée d’un lourd «ceaun»2 et d’un encombrant fagot de bois, traîne le pas: plus propice à la capture que les autres, elle me mènera sans doute au lieu de cette transhumance...

Furtivement, je la suis. Nous descendons au centre du village, traversons le pont de la rivière, puis remontons quelques mètres l’autre versant. Je ne tarde guère ici à retrouver le gros de la troupe. Tous vêtus de noir, des villageois s’agglomèrent autour d'une maison. Sans attendre son tour, mon guide "à la marmite" fend la foule et entre dans la petite demeure en bois. La porte ouverte permet aux gens restés dehors d’assister à l’office qui est donné en ses murs. D’une voix grave, sans perdre souffle, le Pope psalmodie la liturgie propre à signer le grand départ.

Paré de sa toge dorée, nimbé d'un nuage d’encens, il sort enfin majestueusement du logis suivi d’un impressionnant cortège portant étendards, croix scintillantes, couronnes fleuries et arbre mortuaire décoré de bonbons, gâteaux et morceaux de chiffons. Voilà finalement, le roi de la fête qui apparaît: un homme bleu, raide comme la mort, trônant dans un cercueil ouvert gracieusement orné de fleurs. Moi qui viens d’une contrée où la mort est devenue taboue, face à mon premier cadavre, je sens mes jambes flageoler... Encore tout à mon émotion, je me laisse docilement happer par le cortège. Avant de laisser la maison, on brise un vase sur le sol.

Posé sur une charrette tractée par une frêle haridelle, l’homme, en fait un peu verdâtre à mieux y voir, sautille, hop, hop, dans son cercueil …Que Dieu me pardonne, mais un rire nerveux manque de m’étouffer. Cette brave bourrique parfaitement inconsciente du convoi macabre qu'elle tracte avec son bondissant défunt qui ne peut être que satisfait de cette ultime promenade: la "vie" des hommes et son lot de surprises !

Fort heureusement, cette envie de rire passe rapidement. Je suis serrée de près par trois étranges femmes. Ce n’est pas le moment de ralentir le pas. Des pleureuses !
Vêtues de noir de la tête aux pieds, elles gémissent, les bras levés au ciel. Elles enfouissent leurs hurlements de désespoir dans leurs mains crispées. S’il arrive que leur lamentations faiblissent, elles font mine alors de tomber. Leurs voisins, impassibles, les redressent sans un mot. Souffrent-elles autant qu’il y parait? Sont-elles payées pour s'adonner à ces outrances? Le secret restera scellé.

Inflexible, le cortège continue. Arrivé au cœur du village, une pluie métallique s'abat: on lance des pièces de monnaie par-dessus son épaule. Les enfants se précipitent pour s'en remplir les poches. Il est temps de rejoindre le cimetière.
Frêles lumières blotties dans de petits pots de verre. Toutes les tombes sont illuminées. Le cercueil est descendu en terre. Bouquet de fleurs, chapeau et paires de chaussures, une poignée de terre et enfin quelques pelletées complémentaires: le défunt est enterré.
Après les pièces de monnaie, on sort maintenant les billets. L’argent recolté sera donné «aux plus pauvres», et les bonbons qui décoraient les branches, distribués aux enfants.

Surtout, n’oubliez pas de décrocher une serviette nouée sur les couronnes ou sur l’arbre rituel. Les pièces que vous y trouverez devront être dépensées pour le mort!
Avant de quitter le cimetière, prenez un verre de vin ou de «ţuică», quelques «colaci»3 et une part de «colivă »4. Ces mets offerts, petite collation sucrée en guise d’apéritif, vous les retrouverez durant la «pomană»5 qui réunit famille et proches dans une ambiance joyeuse pour un repas au mort …


« Délier, purifier, achever: dès la levée de la bière, la séparation des mondes s’organise autour de ces trois axes. Comme s’il fallait achever un travail que la mort n’avait pas encore mené à son terme. De la maison au cimetière, du cimetière à la maison, et tout au long des quarante jours qui suivent l’enterrement, progressivement, tous les ponts sont coupés entre le mort et les vivants. Il faut brouiller les pistes et l’obliger à s’engager sur son chemin sans retour»
C’est ainsi que traditionnellement et dans certaines régions, une fois le cercueil à l’extérieur de la maison, portes et fenêtres sont fermées ‘‘pour qu’il ne regarde pas derrière lui’’. Pots, verres ou assiettes, ainsi que tous les objets présentant une ouverture, sont retournés afin qu’un contenant ne puisse servir d’invite et abriter une âme qui tarderait à s’en aller »

« Il ne se passe pratiquement pas un dimanche sans qu’un tel office soit célébré, ce qui explique sans doute aussi l’acceptation de l’idée de la mort à laquelle on s’habitue dès sa plus tendre enfance. Les enfants, le dimanche, sont friands de cette colivă dont le goût enchante, mais aucun d’entre eux ne le dégusterait en ignorant longtemps, qu’il accomplit en même temps un acte rituel »6

1 Basma : foulard, fichu
2 Ceaun : marmite en fonte
3 Colaci : petits pains rituels
4 Colivă : gâteau de gruau bouilli
5 Pomana : repas funéraire
6 Ioanna Andreesco, Mihaela Bacou, Mourir à l’ombre des Carpathes, Payot, Paris, 1986