« Zut, j’ai oublié les clefs ! ». Le garage est ouvert. Je peux tout de même accéder à la cave. Mais, pour le reste, tartines, confitures, petits biscuits et mélisse, il faudra attendre que mamie rentre. Se terrer comme un rat dans la cave deux heures durant alors que des trombes d’eau s'abattent dehors, c’est l’idée de joyeux bavardages autour d’un thé fumant qui me fait tenir… Après tout, je n'avais qu'à pas oublier ces clefs !
Je m’assois sur l’escalier. Les coudes sur les genoux, j’observe autour de moi. Cette pièce devrait m’être familière. J’y passe chaque fois que je descends au jardin. Mais en fait, j’y passe mais m’y arrête rarement. Je descends prendre parfois une bouteille de vin, une boîte de petits pois ou je remonte un litre de lait quand mamie accepte que je lui rende service, mais toujours au pas de course. Cette villégiature forcée me donne enfin l’occasion de profiter de ce secteur négligé avec tous ses objets qui dorment dans la pénombre, méprisés.
A même le sol, filets d’oignons, pommes de terre et sacs de carottes, les réserves sont prêtes pour tout un hiver de soupes. J’imagine déjà les fenêtres embuées et la cocotte-minute sifflant vers cinq heures du soir. Joyeux vacarme d’un après-midi d’hiver qui puise sa matière dans cette caverne d'Ali Baba bien achalandée.
Sur les étagères: caisses à outils, boîtes à vis et planchettes de bois. Rangement maniaque: ‘’chaque chose a une place et chaque chose à sa place’’. Du plus petit jusqu’au plus grand, les clous sont parfaitement triés. Marteaux, scies et pinces multiples sont rangés dans une ancienne caisse de vins de Bordeaux. Comment imaginer nos mercredis d’antan et ses ateliers ‘’travaux manuels’’, si mamie ne maîtrisait pas parfaitement le ‘’secteur bricolage’’ de la cave ?
Sous l’escalier, un magot de pirates. Cagettes pleines de grosses pépites. Elles sont un peu fripées mais feront de merveilleuses compotes ou ''tartes Tatin''. Si le rituel ''lancer de quartiers de pommes devant la télé en regardant Colombo'' pouvait se perpétuer, c’est d’abord parce que mamie prend soin d’enrichir régulièrement le jardin fruitier de cette cave parfumée.
Et puis le garde-manger en bois gris-bleuté. Moi qui avais la prétention de connaître la maison dans ses moindres recoins. Je m’en veux terriblement de n’avoir jamais, lors de mes fouilles hebdomadaires, accordé plus d’attention à cette armoire magique. Des paniers en osier, indispensables quand les épiceries de quartier vivaient encore, sont entreposés au dessus du meuble poussiéreux. A l’heure des "Lidle", "Auchan" et autres supermarchés, on ne les sort guère plus que pour aller aux champignons.
Je me lève et tourne la clef. Le bois a joué avec l’humidité. Je dois un peu forcer sur les portes qui grincent. Ouvrir ce ‘’garde-manger’’, c’est un peu comme ouvrir un coffre à bijoux. Perles vernissées et émaux de verre, bocaux de fruits et pots de confiture. Tous scintillent comme des pierres précieuses. Gelées de framboises et de groseilles, confiture de mirabelles ou de fraises … elles sont rangées par couleur et par année. Bocaux de prunes et de cerises … il y a eu des amateurs, la réserve est déjà bien entamée.
Soudain, j’entends des pas. Mamie rentre avec son ''cadi'' à courses. Je referme promptement les portes du ‘’garde-confiture’’, le trésor doit paraître inviolé! J’éteins la lumière avant de remonter et de "toquer" à la porte. Tout s’apaise dans l’obscurité de cette cave qui s’endort …
Je continue à venir prendre une bouteille de vin, une boîte de petits pois ou je remonte un litre de lait … toujours au pas de course. Pourtant, lors de mes passages en coup de vent, je prends désormais une seconde avant de refermer la porte. Rotation furieuse de la soupape et effluves de poireaux, coups de marteaux sur planches de bois, vapeurs caramélisées, parfums sucrés et acidulés, perles de cristal et vernis scintillants … une seconde pour que s’anime à nouveau les trésors de cette caverne merveilleuse.
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