mardi 24 juin 2008

Si tu t’imagines…

Highslide JS



Hier encore, je jouais à la marelle.
Un, deux, trois… je saute jusqu’au ciel.
Les mains blanches de craie,
Rentre, c’est l’heure de dîner.
Aujourd’hui, je vais en ville avec maman,
Pour acheter une robe et des rubans.
Dans peu, viendront parents et amis
Au mariage de ma sœur Émilie.

La couturière s'est écriée en me voyant:
«Comme elle a poussé, ce n'est plus une enfant!».

Sur le comptoir s'étale un beau tissu vermeil.
Maman, ravie: «Il est parfait. Quelle merveille!».
On a pris les mesures, choisi un galon de dentelle.
Je m’imagine déjà, gracieuse, sous mon ombrelle!
« Dans une semaine, vous en êtes sûre?»
« Elle sera prête, je vous l’assure!»

Depuis que ma robe est commandée,
J’ai rangé toutes mes poupées.
Je ne suis plus une fillette!
Finis jouets, adieu dînettes!

Un peu de rouge sur mes joues,
Ruban velours autour du cou.
Sur les paupières ombre nacrée,
Un bracelet à mon poignet.
Face au miroir, anxieuse, je me regarde.
Il est temps de partir et pourtant je m’attarde.
Mon enthousiasme a disparu.
Grandir, pourquoi? Je ne veux plus!

«Votre fille, Madame, une vraie Demoiselle!»,
« Votre portrait, Dieu, qu’elle est belle!».

Sourires et mots élogieux,
Hier encore, j’en faisais vœu.
A cette heure, je suis lasse.
Toutes ces flatteries m’agacent.
Dans certains regards, étrange lueur,
D'un monde qui me fait peur.
S’entrouvre la porte devant moi,
D'un univers que je ne connais pas…

Le matin, je suis heureuse de retrouver,
Sophie la poupée et l'ours Barnabé.
Dans la main une tartine de miel,
A cloche pied je joue à la marelle.
Derrière le portail, j’entends crier mon nom,
Pauline est venue me chercher avec Lison.
Mes amies sont parties se cacher.
En attendant, moi, je dois chanter…
«Promenons-nous dans les bois,
pendant que le loup n’y est pas…»


***

jeudi 19 juin 2008

Timpul cireşelor…

Highslide JS


Le merisier ou ‘‘cerisier doux’’ qui donne des fruits fermes et sucrés comme les Bigarreaux ou les Guignes. Le griottier ou ‘‘cerisier acide’’ dont les fruits plus mous sont acides, pour les griottes, voire acidulés, pour les anglaises. Il existe environ une trentaine de variétés cultivées dans l’hexagone Pour faire plus simple, on parle généralement de ‘‘cerises douces’’ à manger directement sur l’arbre et de ‘‘cerises acides’’ très bonnes en tartes, bocaux ou confitures. Dans les deux cas: «Ce sont des cerises !». En tout cas, c’est ce que je croyais…

Râteaux et faux sur l’épaule, nous partions à la fraîche sur le petit sentier, celui de derrière la maison: activité commune pour tout le village. C’était la période de fauchage. Le ciel bleu immaculé laissait au soleil toute la joie de s’exprimer. La journée s’annonçait caniculaire. Nous enjambions les barrières de bois qui délimitent le terrain en parcelles et dans notre promenade, nous traversions des vergers. Hautes herbes, lumières tamisées. Quelle douce fraîcheur à l’ombre des feuillages ! Quand, en passant sous de beaux arbres lourds de fruits, je m’exclame: «Oh, des cerises !». Silence général et enfin les moqueries qui fusent…
Je suis taxée de ‘‘citadine’’ ou de ‘‘française’’ (en roumain, les deux mots sont synonymes…), incapable de faire la différence entre une pomme et une poire ou entre des cerises («cireşe») et des «vişine» (par respect pour mes amis roumains, je ne traduirai pas ce dernier mot par ''cerises'' griottes).
Pourtant, moi, j’en étais sûre. Quand j’étais petite, la ‘‘tante Hélène’’ prévenait toujours ma grand-mère à cette époque de l’année : «Passez donc avec les cocottes pour cueillir des cerises aigres, les oiseaux les mangent sur l’arbre!». Et bien les cerises de la tante Hélène ressemblaient trait pour trait à leurs «vişine» ! Qu’on me traite de ‘‘citadine’’, passe encore (y’a du vrai…), mais accuser la tante Hélène de ne pas savoir faire la différence entre une pomme et une poire, c’est outrepasser les limites du respect!

Dans un silence absolu je ratissais ma ligne d’herbe. Il ne fallait garder le rythme. Devant nous, les hommes fauchaient, derrière, chacune sur un rang, les femmes amassaient l’herbe, progressant jusqu’aux trois piquets de bois dressés en cône pour former la «Căpiţă». J’observais, admirative ces petites grand-mères aux yeux rieurs, toujours bavardes, porter sur leur dos des tas d’herbe trois fois haut comme elles. Les mains arrachées, les bras en compote, j’étais fière d’avoir appartenu, le temps d’une journée, à leur groupe. Derniers coups de râteaux pour consolider la «Căpiţă», nous partions rejoindre les ‘‘faucheurs’’ déjà installés à l’ombre, un verre de «ţuică» à la main…

Installée dans ce petit Paradis au cœur d’un verger, je regarde briller "Dame Eté" et sa parure de rubis. Cerises ou «vişine», peu importe, en croquant dans cette chair vernissée me voilà transportée dans un petit jardin du nord-est de la France. Perchée sur l’escabot je lance les fruits par poignées dans le panier tenu par ma sœur. Plus haut, dans le potager, mamie et tante Hélène commentent la croissance des salades…

Puisque c’est à cette période que les cerises, premiers fruits de l’année, sont cueillies, le mois de juin est également appelé, dans la tradition roumaine, «Cireşar» ou «Cireşel» (cireşe = cerises). Au mois de juin, les jours sont les plus longs et le ‘‘temps calendaire’’ parallèlement à la végétation arrive à maturité. Les besognes sont diverses: bécher et enterrer les pommes de terres, faucher et mettre l’herbe à sécher, commencer les travaux de moisson, cueillir les herbes médicinales et les premiers fruits des bois. Dans les régions d’activités pastorales, les bergers et leurs troupeaux occupent les vastes prairies pour la «vărat» («vară» = été ; a văra = passer l’été, faire paître)… Pourtant, aussi prometteur que puisse paraître ce premier mois de l’été, aucune certitude concernant les futures récoltes. Un orage, des rafales de vents, des pluies torrentielles accompagnées parfois de grêle peuvent dévaster les champs cultivés ou les vignes.

En roumain, «sânziană» ou «drăgaică» (sud de la Roumanie) qualifie une plante herbacée vivace que l’on connaît, chez nous, sous l’appellation de Gaillet mollugine. Quelques variétés de Gaillets sont également appelées «caille-lait», du fait de la présence d'une enzyme permettant de faire cailler le lait. Dans la tradition populaire roumaine, le nom de cette rubiacée est également celui d’une divinité protectrice des blés et des femmes mariées. Née le jour de l’équinoxe de printemps (le 9 mars selon le calendrier julien) et de la mort de Baba Dochia, «Sânziană» ou "Drăgaică " grandit de façon miraculeuse et atteint sa maturité au solstice d’été (le 24 juin du calendrier grégorien). C’est également à cette époque de l’année que notre Gaillet mollugine donne de petites fleurs blanches. La légende explique qu’en cette journée de solstice d’été, «Sânziană» marche sur la Terre ou vole à travers champs et forêts, accompagnée d’un cortège de jeunes fées. La danse effectuée par cette jolie troupe aurait un pouvoir bénéfique.

Dans la tradition populaire roumaine, la divinité agraire est représentée symboliquement par une couronne de «sânziană» et d’épis de blé. Cette effigie, aux pouvoirs miraculeux, est souvent portée par une jeune fille lors d’une cérémonie appelée «Dansul Drăgacei» (la danse de Drăgaică). La couronne peut être accrochée à la fenêtre, sur le portail, à l’entrée du village ou du cimetière pour protéger les hommes, les animaux et les récoltes des désastres naturels. Les coutumes diffèrent bien sûr selon les zones ethnographiques. La couronne est parfois lancée par dessus le toit de la maison ou de la grange. Selon la façon dont elle retombe ou reste accrochée sur le toit, les villageois peuvent prédire l’avenir. Va-t-on vivre en bonne santé cette année? La mort est-elle proche? Pauvreté richesse dans le foyer? La fille de la maison va-t-elle se marier?

Une autre divinité, masculine cette fois-ci, qui marque dans le calendrier populaire le milieu de l’été agraire et la période des moisson: «Sânpetru de Vară» (Sânpetru d’Eté). Dans le calendrier chrétien, nous le retrouvons sous le nom du Saint Apôtre Pierre. L’image populaire le montre comme un homme ordinaire qui travaille les champs, élève des animaux et s’occupe à la pêche. Son frère, «Sânpetru de Iarnă» (Sânpetru d’Hiver) est considéré comme le patron des loups. Homme très croyant, besogneux et exemplaire, «Sânpetru» est appelé par Dieu au ciel et prend la responsabilité des portes et des clefs du Paradis. A l’occasion des Grandes Fêtes, à Noël, au Réveillon, à l’Epiphanie, pour «Sângiorz» ou «Sânziene», il est possible de l’apercevoir, le ciel s’ouvrant un court instant, on le voit à table, à la droite de Dieu. Sânpetru est le Saint le plus connu du Calendrier populaire. Célébré le 29 juin, sa fête est précédée d’un «post» (jeûne) dont le nombre de jours peut varier. A l’époque, on considérait certains repères cosmiques et terrestres comme annonciateurs de cette fête: le retour entre autres de la constellation "Găinuşei", l’arrêt du chant du coucou, l’apparition des lucioles...

Cinquante jours après Pâques, «Rusaliile» est une fête très importante du calendrier chrétien. Elle doit commémorer la descente de l’Esprit Saint sur les Apôtres. Dans la tradition populaire «Rusaliile» sont des femmes qui grâce aux plantes médicinales peuvent soigner toutes sortes de maladies. Armées jusqu’aux dents, elles punissent sévèrement toutes les personnes qui oseraient travailler durant la semaine. Le lundi qui suit le dimanche des «Rusalii» est réservé aux morts et des repas sont organisés en leur mémoire.

Durant le mois de juin et spécialement en cette semaine de «Rusalii», apparaissent également, dans certaines zones ethnographiques, les «Căluşari». La troupe de jeunes danseurs, s’est constituée selon des règles strictes et une hiérarchie bien déterminée. Le principe de base, pour ces jeunes gens tout habillés de blanc est de représenter la solidarité du village, prenant pour référence la fameuse devise «tous pour un et un pour tous». Le groupe, comme entité construite, représente la collectivité entière, et comme chaque maison est une entité de la communauté, chaque foyer sera visité !

Des colliers de «visine» en parure, des couronnes fleuries pour prévenir les intempéries, un Saint paysan dont la fête fait taire le coucou, des herboristes "en herbes" et leurs pouvoirs de guérison, de jeunes garçons qui dansent pour le retour de l’Eté … C’est sûr, vos mois de juin ne seront plus jamais les mêmes !

vendredi 13 juin 2008

En quête d’Art !

Highslide JS

Ce qui avait beaucoup étonné Daria Arkadievna, c’était qu'Armand De Massari ait accepté aussi facilement la rencontre. Elle connaissait bien Olivier Chagny et son manque de tact légendaire. Pourtant, le frère et ‘‘agent’’ du jeune artiste, avait accepté sans état d'âme. Vendredi 18 mai à 10 heures, Armand De Massari se prêterait volontiers à l’interview. Malgré ses origines, ce fils et arrière petit-fils de peintres, ne ressemblait en rien aux artistes italiens, fiers comme leur patrie et ardents comme son azur éclatant. Quand il refusait les entrevues, il ne le faisait jamais avec outrecuidance. De nature douce, timide et insouciante, il aimait pieusement l’Art et goutait peu la superficialité médiatique. Si ses œuvres avaient fini un jour par être exposées - une révélation pour les amateurs d’Art - c’était en fait avant tout sous l’initiative de son aîné, Ares De Massari. L’interview aurait d'ailleurs lieu à la Villa Alvise Vivarini, propriété familiale où son frère séjournait habituellement quand il se rendait en France.
Cet article était une véritable aubaine pour l’Almaviva et c’est avec empressement que Chagny envoyait Daria Arkadevna recueillir les propos de l’artiste. Cette spécialiste de la rubrique ‘‘Culture’’, n'avait plus à faire ses preuves dans le milieu de la presse. Ses critiques, petits bijoux d’éloquences et d’enseignements, étaient toujours vivement attendus par le monde des Arts et de la Littérature. Son élégance persuasive la faisait passer partout. Elle le faisait cependant avec discrétion sans jamais se montrer importune. C’était d’abord son amour pour la lecture et l’écriture qui l’avait poussée à exercer le métier de journaliste et non, comme beaucoup de ses confrères, une bonne part de curiosité morbide. Cette artiste de talent savait, elle aussi, rester modeste.
Ce matin, pourtant, le directeur de l’Almavia semblait préoccupé. D’ordinaire, quand Daria Arkadievna, de tempérament assez bilieux, demandait conseil à Olivier Chagny, celui-ci la taquinait sans y aller vraiment d'avis péremptoires, preuve de la grande confiance qu'il plaçait en elle. Cette fois, étonnement, il l’avait assommée de recommandations plutôt étranges à première vue. Quelques plaisanteries avaient bien sûr ponctué son discours, mais son insistance sur certains détails et son regard inhabituellement sérieux laissaient suggérer une ‘‘mission’’ plus insolite. Ce n'était pas une simple interview à visée culturelle qu'on lui confiait mais une véritable enquête. Observations des lieux, des objets, des attitudes de chacun. De l’artiste, bien sûr mais aussi du personnel et surtout du frère, Ares De Massari. Elle devait s’introduire dans ce joli monde dans un rôle de véritable agent double! La jeune journaliste n’était pas sans ignorer l’affaire du vol: la semaine précédente deux tableaux de la collection familiale avait été dérobés. Cela avait fortement animé la région. Sans poser plus de questions à Olivier Chagny, signe de sa grande confiance en l'homme, elle partit à la rencontre des frères De Massari.
La Villa Alvise Vivarini abritait une riche collection de peintures, de précieux objets et un somptueux mobilier aux styles variés. De l’extérieur, à elle seule, la bastide était un petit joyau artistique. Des vitraux ornementaient ses ouvertures et un parc boisé où musaient de gracieuses sculptures, encerclait la demeure. L'esthète ne pouvait que se réjouir de cette visite! Quel personnage se cachait derrière le mystérieux et talentueux Armand De Massari? Qui était l’auteur du vol des tableaux? Dans cette nouvelle aventure qui va la mener sur les chemins de l’Histoire de l’Art, Daria Arkadievna devra, une fois encore, faire preuve de beaucoup d'imagination et d'une belle perspicacité…

mercredi 11 juin 2008

Lupta Curcanilor !

Highslide JS



Je vivrai à la campagne !

Élevée en appartement, j’en garde des séquelles irréversibles: une jambe plus courte que l’autre à force de courir en rond autour de la table, le souci permanent de faire trop de bruit - « hé, les enfants, les voisins!» - une endurance lamentable - le chrono à la main, notre frère nous entraînait ma sœur et moi au 4 mètres haies dans le couloir - et enfin un savoir médiocre sur la faune et la flore de nos régions. Un pigeon s’est bien posé une fois sur le rebord de notre fenêtre. Balthazar, notre chat persan a réussi le vendredi 21 juin 1991 à choper un hanneton sur le balcon. Jusqu'à la fin de ses jours j’ai vu briller dans ses moustaches «la gloire de mon chat». Cependant, un hurlement général l’a probablement convaincu de ne jamais réitérer un tel exploit. Heureusement, notre grand-mère avait une maison. Une maison au cœur de Nancy, soit, mais une maison avec un potager et quelques arbres fruitiers. Des fleurs au printemps pour cacher les œufs de Pâques, des étés pour ramasser fruits et baies, des feux d’automnes après la taille et la terre endormie sous les gelées hivernales. Des moments inoubliables de bonheur, grâce à ce petit bout de terrain urbain. C’est de ces journées passées avec ma grand-mère qu’est né mon amour pour la nature et le désir de vivre un jour à la campagne.
Mon attachement pour la Roumanie vient aussi de là. Mon premier voyage, dès la frontière passée, je voyais s'animer les histoires contées par ma grand-mère devant mes yeux. Les charrettes, les vaches, les oies sur la route, les travaux dans les champs, les enfants qui jouent dehors, une fraîcheur pittoresque et colorée, le rythme de la vie en somme.
C’est dans ce havre intemporel que je bâtirai ma maison! C’était décidé. Des poules pour les œufs, une vache pour le lait, un cheval à brosser, un chien pour aboyer, des chats par milliers… J’y mettrai toute la panoplie du fermier qui se respecte! Dès lors, je profiterai de mes promenades au cœur des campagnes roumaines pour effectuer des observations poussées sur les travaux des champs, les activités pastorales, l’élevage des volailles et du bétail et les tâches quotidiennes de la maison. Si je voulais endosser le costume du véritable «gospodar» (maître de maison), les occupations rurales ne devraient plus avoir de secret pour moi! Seulement voilà... Quand un jour, poursuivant mes études de terrain, j’entrai dans la cour arrière de la maison où gambadent habituellement poules, pintades et autres volailles, le traumatisme se produisit. Mon doux rêve bucolique, mes tendres oiseaux au pennage bigarré picorant joyeusement maïs et jeunes pousses: un peu loin des réalités. Déluge de plumes et piaillements stridents, deux monstres aux serres aiguisées se livraient un duel. Un remake de Matrix, version roumaine ou un combat digne du Secret des poignards volants. Deux monstrueux dindons aux puissantes jambes crochetées bondissaient dans les airs, pirouettaient sur eux même, ripaient sur les murets et dans un désir ardent de meurtre, se jetaient, becs béants, crêtes en arrière, sur l’adversaire. Eclair de lucidité ou instinct de survie, je refermai promptement le portail de bois? Un peu plus et le coup était pour moi! Une horreur!
Et pourtant, pour accéder au statut mythique de «gospodar», impossible de faire "soft". Ne pas procéder à l’égorgement annuel du cochon ou pire encore (je venais de l’apprendre) à l’élevage de dindons sanguinaires. Faire sans, c’était courir le risque de passer, dans tout le village, pour une touriste de bas étage! Résignée, je pris alors la décision de quitter les vastes plaines de l’Ouest pour gagner les Carpates. Les caprins et les ovins apprécient ses vertes collines et le relief n’est pas propice à la culture des céréales… et qui dit «pas de céréales !» dit aussi «pas de grosses volailles!».
Je tiens pourtant à rendre hommage, à travers cette illustration, aux «curcani» (dindons) roumains qui restent, pour moi, une image forte de mes séjours dans le pays. Avec le temps, j’ai appris à mieux les connaître et même à les trouver marrants. Quand ils commencent à se disputer trop méchamment, il ‘‘suffit’’ d’en choper un et de «le mettre au coin» dans le poulailler. Après un temps de réflexion forcée, leur petite tête résignée, on les laisse repartir picorer gentiment chacun de leur côté...
Dans les campagnes roumaines, nous pouvons observer, dans une large mesure, une répartition sexuelle des tâches, doublée d’une répartition spatiale. L’espace de travail des hommes se trouve le plus souvent «à l’extérieur» c’est à dire au-delà de la maison et celui des femmes essentiellement «à l’intérieur» du foyer, la cour augmentant cet espace. Nourrir les volailles, précieusement cantonnées dans la cour derrière la maison, ou traire les vaches, une fois rentrées à l’étable, fait habituellement partis des tâches féminines. Ces occupations sont aussi souvent dévolues aux grands-mères qui restent la journée sur place. En effet, l’organisation familiale en Roumanie est généralement verticale. Sous un même toit vivent le couple «gospodar» et «gospodină», leurs enfants et les grands-parents paternels. Le reste de la famille n'est jamais bien loin : «Tante Cornelia est aussi ma voisine et oncle Costaş habite en bas à coté de l'école... ». Les parents partis travailler en ville, les jeunes enfants restent le plus souvent au village et sont élevés par les grands-parents et la famille élargie. Comme les petits poussins qui grandissent dans le cercle sécurisant de la basse-cour, pour bien pousser, restez ‘‘groupiert’’ !
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vendredi 6 juin 2008

Une question de hauteur...

«Il y a au milieu même de la paix (et par conséquent au milieu même de la guerre) de formidables combats dans lesquels ont est seul engagé et dont le tumulte est silence pour le reste du monde. On n’a plus besoin d’océans terrestres et de monstres valables pour tous ; on a ses propres océans et ses monstres personnels »


Jean Giono, pour saluer Melville.


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E
mbarqué sur une coquille de noix, une plume pour simple gouvernail, la mer est grosse et les lames menaçantes. Sous le rafiot, profondeurs cireuses infinies.
Au-dessus, rouleaux de nuages noirs obscurs. Retenu au cœur de la tempête, elle fulmine et gronde en vous. Néant glacé sous vos pieds, épaisseur filandreuse au dessus de votre tête. Comment gagner un havre de paix? Suffocante situation quand même le vide qui est en vous roule et bourdonne…

Soudain, une ‘‘vague scélérate’’ vous propulse vers des hauteurs vertigineuses. Vous grimpez sans cesse, happé par la masse cotonneuse. Un vent glacé vous fouette le visage mais vous apercevez une percée nacrée. L’ascension continue mais se fait désormais plus calme. Vous avez traversé depuis longtemps la masse brumeuse.
Vu d’ici, il ne s’agit plus que d’une fine vapeur, minuscule point nuageux d'une immensité transparente. Léger comme une bulle de savon, vous flottez sur des nuées roses pailletées. La descente est douce et sereine. Vous voyez venir la terre. Sur un camaïeu pastel, de fines gouttelettes brillent comme autant d'éclats de diamants…

Comme qui soudain crie «Euréka!», hantée par «mes propres océans et mes propres monstres», je pointe le ciel pour clamer: «Je vole contempler ces petites choses de tout là-haut!»


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lundi 2 juin 2008

Ciobanul-cu-caprele

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Pe munte …


Si j’avais été un garçon, j’aurais été berger! Comme cinquante pourcent des adolescents, j’ai moi aussi, un jour, nourrit le rêve de me retirer dans les montages pour y élever des chèvres ou des moutons, habiter dans une cahute de bois, et apprendre à vivre en harmonie avec la Nature… Cependant, il est toujours préférable, avant de se lancer, de mettre en pratique les belles théories. Une expérience très courte de quatre jours dans un cabanon au cœur des Carpates, peut d’ailleurs remettre rapidement les idées en place…

Le premier jour, bien sûr, vous faites le malin. Les bras croisés derrière la tête, une herbe au coin des lèvres, vous pensez, persifleur : « Et dire qu’en bas, il y a des fous qui se stressent toute la journée au bureau !!! »


Le deuxième jour, les yeux quelque peu boursouflés, vous êtes réveillé part le froid à six heures du matin. Cependant, pas mécontent d’être là au beau milieu des montagnes, vous vous étirez en admirant le paysage: «Et dire qu’à cette heure de la journée, il y a des cinglés qui s’énervent dans les embouteillages ».

Le troisième jour, profitant d’une éclaircie entre deux averses, vous vous promenez d’un pas exagérément enjoué en vous répétant: «Et dire qu’il y a des gens qui vivent dans des cités bétonnées … ». Quand en fin de journée, vous vous exclamez pour la 25ème fois : «Qu’est-ce que c’est beau !!! » on pourrait presque croire que vous cherchez à vous convaincre… Puis arrive le fatidique quatrième jour.

En fin de matinée, terrassé par l’ennui, vous décidez de partir en promenade à la découverte de nouveaux sentiers. Un brin d'inconscience. Vous choisissez l’itinéraire de gauche après la cascade. C’est celui qui mène au premier village. Vous vous abusez en vous racontant que vous trouverez sans doute un petit chemin vous permettant de faire la boucle, mais les yeux écarquillés (il faut dire que ça fait trois nuits que vous dormez à peine), les oreilles grandes ouvertes et les narines dilatées, vous êtes à l’affût du moindre mouvement, du plus petit bruit, d’une odeur, même, qui pourrait vous indiquer la présence d’âme qui vive. Echanger un sourire, un mot, une phrase et puis même, si on insiste, cracher sur les montagnes... mais surtout le faire à deux !!!! A cette pensée, vous accélérez sensiblement le pas. Et puis enfin, longeant un ruisseau, rencontre providentielle, vous tombez sur une petite vieille qui remplit sa gourde. Vous n’êtes pas encore arrivé à sa hauteur qu’elle commence à marmonner quelques paroles. Vous n’avez pas très bien entendu et le «roumain des montagnes» semble plutôt différent de celui que vous avez appris à l’Université… Cependant, la grand-mère s’agite en montrant le ciel qui s’obscurcit, vous en déduisez que le sujet doit porter sur le temps. Vous vous ressaisissez alors et baragouinez quelques mots à votre tour mais, anxieux, vous attendez les conséquences de votre réplique. La grand-mère vous regarde un peu perplexe, mais après un court silence, reprend la conversation avec le même entrain. Vous voilà soulagé. Votre réponse devait tout de même tenir la route. Il vous semble maintenant qu’elle parle d’une fête religieuse qui doit se tenir aujourd’hui au village. Malheureusement pour vous, l’accentuation de sa phrase indique qu’elle vous adresse désormais une question … Le problème c’est que vous n’avez pas tout à fait saisi cette question… Le trop facile «da, da » (oui…oui) ne pourra, ce coup-là, pas vous sauver. Vous sentez bien qu’il faut, cette fois-ci, lui fournir une réponse un peu plus élaborée… Un peu paniqué (mais vous ne montrez rien) vous essayez de visualiser mentalement le calendrier orthodoxe : « Quel foutu Saint Patron peut-on bien célébrer à cette époque de l’année ? » Vous tentez alors le tout pour le tout et sortez un truc… un truc sans doute terrifiant pour une petite vieille venue remplir sa gourde au ruisseau. Elle ouvre grand les yeux, se signe trois fois et trace la route.

J’abrège, en précisant que le clou final est prévu pour le soir. Parvenu au village, détrempé, vous vous offrez le luxe d’aller prendre un Coca au bistro (il vous restait justement trois pièces dans la poche, que vous imaginiez symboliques au départ) et même d’aller aux toilettes. Malheureusement (ou heureusement) vous croisez votre image dans un petit miroir cloué sur la porte des W.C. Les sourcils en broussailles, les cheveux en bataille, c’est un peu le remake de Gorilles dans la brume. A force de copiner avec ses monstrueux singes, Dian Fossey avait fini par leur ressembler. Quatre jours dans les montagnes, et vous, c'est au Yéti... Non seulement ce séjour n’a duré que très peu de temps mais en plus de ça, vous n’aviez pas la responsabilité de stupides chèvres ou moutons qui n’écoutent rien. Résigné et épuisé vous achèverez cette expérience en déclarant : «Après tout, berger, ce n’est un boulot de bonnes femmes !!! » Vous renforcerez vos conclusions, en repensant à Baba Dochia qui voulant changer l’ordre naturel des choses est restée pétrifiée sur les sommets !!! (rf : billet Baba Dochia)

Employant, à bon escient, le conditionnel passé, je reprends donc: «Si j’avais été un garçon, j’aurais été berger !!! ». Mais pas n’importe quel berger, un véritable «Cioban» comme celui que vous voyez sur l’illustration. Appuyé sur son bâton, il n’a pas bougé depuis des heures. Impassible, il observe son troupeau qui, frénétique, arrache les premières herbes tendres du printemps. Telle une «Căpiţă» (tas, meule de foin), accoutré de sa peau de mouton «Blană», les froids mordants et les pluies diluviennes, qui en montagne vous surprennent même en été, ne le feront pas se cambrer d’un iota.

Avril est arrivé. Soucieux, on lève les yeux vers le ciel. Un temps froid et sec à cette période de l’année, annoncerait la misère. Mais cette fois-ci, Avril est clément. On poursuit les semailles de printemps, on clôture les terrains cultivés, on organise les troupeaux et les moutons sont tondus avant la montée dans les montagnes. Enfin on rafistole les abris où le bétail s’abritera des chaleurs estivales et des pluies torrentielles.

Le Calendrier pastoral annonce l’approche de la «Sângiorz» (St George), et les jeunes garçons allument le «Feu Vivant» «Focul Viu» dans les maisons ou dans les bergeries où les animaux viendront paître tout au lond de l'été. Traditionnellement, du bois et un bout de champignon (ganoderme) «Iască» serviront à allumer le Feu Magique dont la fumée purifiera les animaux pour les protéger des malheurs et des «Strigoii» (revenants). Une vache, une brebis ou une chèvre qui ne donne plus de lait a peut-être été la victime d’un «strigoi» venu «lui voler son abondance» («a fure mana») !!! Durant toute la période estivale, le «Feu Vivant» sera entretenu avec soin et jamais il ne devra s’éteindre. Il répand dans son halo chance et protection: auprès de lui, rien de mauvais ne peut vous arriver. De ses précieuses cendres, certains bergers savent encore préparer des remèdes pour soigner les animaux mais aussi les hommes.

Depuis des millénaires, on célèbre, «Sângiorz» (calendirer religieux :Sf Georghe ), le 23 avril, un mois après l’équinoxe de printemps. Il est le détenteur des clefs du ciel qui en libérant le soleil fait venir l’été. Ce n’est qu’à cette date, les agneaux une fois sevrés, que les bergers partiront avec leurs troupeaux dans la montagne. Ils y resteront jusqu’à la fin de la saison, marquée par «Sâmedru » (calendrier religieux : Sf Dimitru), Saint patron de l’hiver pastoral, le 26 octobre. Chaque jour, il faut traire les animaux, administrer les soins nécessaires à leur bonne santé et préparer les produits laitiers à la «stână» (bergerie). Il ne faut pas négliger ces braves petits ovins et caprins, qui durant «l’été stérile» offrent aux hommes un rendement maximum.

Le soir venu, les bêtes rassemblées, restent sous l’œil attentif du vaillant «berger roumain des Carpates». Son propriétaire, s’autorisera peut-être à quitter un instant son mutisme légendaire et vous racontera comment son fidèle compagnon s’est une fois battu contre l’ours. Tous les chiens de garde l’ont au moins une fois croisé, à croire qu’il s’agit d’un critère de sélection pour la race ‘‘carpatine’’ !

La saison s’achève et le berger passe ses dernières nuits à la belle étoile. Au milieu des flammes cuisent les boules de polenta («bulzi») fourrées au fromage, de brebis, bien sûr. Un petit verre ou deux de «ţuică» aidera à faire passer le tout: les «bulzi» et la nuit.

Le jour à peine levé, la descente des troupeaux marquant la fin de l’été est déjà amorcée. Quand, après une bonne journée de marche, le berger atteint son village où tous les habitants se sont rassemblés pour l’accueillir, il n’est pas peu fier. Cependant, feignant l’indifférence, son regard reste droit et il mène ses animaux avec maestria. Cette année, les bêtes ont donné du lait en abondance et reviennent après leur saison au grand air dans une forme olympique. Bâton en main, sa peau de mouton sur l’épaule, son chapeau vissé sur la tête, vous le voyez arriver sur ses trois jambes. Dans ses yeux toujours plissés à force de guetter ses brebis, vous verrez luire encore les vertes pâtures, danser les grandes herbes, briller les nuits étoilées et scintiller le «Feu Vivant»: «Focul Viu».