Élevée en appartement, j’en garde des séquelles irréversibles: une jambe plus courte que l’autre à force de courir en rond autour de la table, le souci permanent de faire trop de bruit - « hé, les enfants, les voisins!» - une endurance lamentable - le chrono à la main, notre frère nous entraînait ma sœur et moi au 4 mètres haies dans le couloir - et enfin un savoir médiocre sur la faune et la flore de nos régions. Un pigeon s’est bien posé une fois sur le rebord de notre fenêtre. Balthazar, notre chat persan a réussi le vendredi 21 juin 1991 à choper un hanneton sur le balcon. Jusqu'à la fin de ses jours j’ai vu briller dans ses moustaches «la gloire de mon chat». Cependant, un hurlement général l’a probablement convaincu de ne jamais réitérer un tel exploit. Heureusement, notre grand-mère avait une maison. Une maison au cœur de Nancy, soit, mais une maison avec un potager et quelques arbres fruitiers. Des fleurs au printemps pour cacher les œufs de Pâques, des étés pour ramasser fruits et baies, des feux d’automnes après la taille et la terre endormie sous les gelées hivernales. Des moments inoubliables de bonheur, grâce à ce petit bout de terrain urbain. C’est de ces journées passées avec ma grand-mère qu’est né mon amour pour la nature et le désir de vivre un jour à la campagne.
Mon attachement pour la Roumanie vient aussi de là. Mon premier voyage, dès la frontière passée, je voyais s'animer les histoires contées par ma grand-mère devant mes yeux. Les charrettes, les vaches, les oies sur la route, les travaux dans les champs, les enfants qui jouent dehors, une fraîcheur pittoresque et colorée, le rythme de la vie en somme.
Je tiens pourtant à rendre hommage, à travers cette illustration, aux «curcani» (dindons) roumains qui restent, pour moi, une image forte de mes séjours dans le pays. Avec le temps, j’ai appris à mieux les connaître et même à les trouver marrants. Quand ils commencent à se disputer trop méchamment, il ‘‘suffit’’ d’en choper un et de «le mettre au coin» dans le poulailler. Après un temps de réflexion forcée, leur petite tête résignée, on les laisse repartir picorer gentiment chacun de leur côté...
Dans les campagnes roumaines, nous pouvons observer, dans une large mesure, une répartition sexuelle des tâches, doublée d’une répartition spatiale. L’espace de travail des hommes se trouve le plus souvent «à l’extérieur» c’est à dire au-delà de la maison et celui des femmes essentiellement «à l’intérieur» du foyer, la cour augmentant cet espace. Nourrir les volailles, précieusement cantonnées dans la cour derrière la maison, ou traire les vaches, une fois rentrées à l’étable, fait habituellement partis des tâches féminines. Ces occupations sont aussi souvent dévolues aux grands-mères qui restent la journée sur place. En effet, l’organisation familiale en Roumanie est généralement verticale. Sous un même toit vivent le couple «gospodar» et «gospodină», leurs enfants et les grands-parents paternels. Le reste de la famille n'est jamais bien loin : «Tante Cornelia est aussi ma voisine et oncle Costaş habite en bas à coté de l'école... ». Les parents partis travailler en ville, les jeunes enfants restent le plus souvent au village et sont élevés par les grands-parents et la famille élargie. Comme les petits poussins qui grandissent dans le cercle sécurisant de la basse-cour, pour bien pousser, restez ‘‘groupiert’’ !
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