vendredi 12 septembre 2008

Le Maître des Hibiscus

Highslide JS

Je vous ai déjà parlé du vaste Jardin d'Aliquando? Et bien, Hibiskos, le Maître des hibiscus était l'un de ses habitants. Il n'était pas le jardinier le plus âgé du parc, mais sa grande expérience et son savoir encyclopédique sur les hibiscus faisaient de lui un personnage très respecté dans le pays. Il était, lui aussi, considéré comme l'un des grimoires d'Aliquando.
D'attitude calme et posée, Maître Hibiskos était l'une des rares personnes dont Guimauve, la licorne la plus farouche du jardin, acceptait la compagnie. Le vieillard n'était pas très bavard mais il vous accueillait toujours avec un petit regard pétillant plus chaleureux qu'une salutation formelle.
Guimauve aimait gambader et paître dans la vallée des hibiscus. A l'image de son propriétaire, à l'humeur douce et constante, l'atmosphère du lieu était calme et reposante.
Les gestes du vieux jardiner étaient précis et son sens de l'observation aigüe. Ce matin-là, silencieux il scruta l'horizon puis se baissant avec souplesse, il palpa la terre. Il était temps que la pluie arrive.
Jamais il ne se trompait quant aux soins à prodiguer à ses plantes chéries. Avec les années, il avait appris à les connaître parfaitement et à anticiper leurs moindres besoins. Entre feuilles et pétales, vous l'auriez confondu avec l'une d'entre elles, tant il pensait hibiscus.
Infatigable, le vieil Hibiskos arpentait son vaste domaine et observait attentivement alentour. Les mains derrière le dos, il pointa son visage vers les cieux. Un sourire de bonheur arrondit sa moustache. Il se figea alors dans sa posture emblématique. Seuls ceux qui le connaissaient vraiment, comme notre fougueux petit poney à la robe gentiane, l'entendaient à ce moment chanter subtilement sous son chapeau. Dans ses yeux, milles éclats multicolores. Telle une tige, il se balançait désormais imperceptiblement au gré du vent. La danse de la floraison commençait son ballet ...

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lundi 8 septembre 2008

În preajma mortului

Highslide JS



«Tu veux voir ce qui se passe à l’intérieur? ». Pas le temps de répondre, on me fourre dans la pièce et la porte se referme promptement derrière moi. Dans cette petite chambre à l'arrière de la maison règne un chaleureux désordre: couronnes végétales, bouquets de fleurs fraîches, piles de serviettes éponge et bouts de chiffons, pâte à «colaci»1, marmite bouillonnante, braises dans le poêle. Fond sonore de rires et verbiages enjoués. Mon intrusion ne paraît nullement perturber le comité de joyeuses bavardes qui s’est réuni dans la demeure du défunt. Mieux, je semble tomber à pic. On a besoin d’une personne pour statuer: "La «colivă»2 est-elle assez citronnée ?".

Comment juger sans point de repère? Si dans ce pays tout le monde est sensé connaître le goût adéquat de ce ‘’gruau’’ rituel, il s’agit cependant pour moi de ma première «colivă». Que diantre, je dois assurer! Ne pas laisser passer la chance de pouvoir me rendre utile dans cette société et peut-être, briser mon image d’occidentale empotée. Je m’encourage et me persuade que chez «le français», l'art culinaire est inné. Trop ou pas assez citronnée, je ne peux pas me tromper. Feignant l’attitude sûre et détendue du connaisseur, je prends une cuillerée de la dite «colivă». Un mélange suave de noix et de blé à la douceur de miel et de vanille agrémentée d'une touche subtile d’agrume. Si la «colivă» n’existait pas, A.Ducasse l'aurait inventée! Je tranche: «C’est parfait ! ».

Première phase initiative remplie. Celles ayant trait aux rituels mortuaires vont venir: entourée d'un comité de grand-mères, je vais participer à « priveghe mortului»3. Trois jours et trois nuits durant lesquels le défunt ne doit pas rester seul à la maison. Reste une journée de veillée avant la levée du corps. Dans le petit salon, les meubles ont été déménagés. Seuls, un divan et deux fauteuils, sont restés le long du mur pour accueillir les ‘’veilleuses’’.

Sur une planche surélevée, au milieu de la pièce, trône notre défunt confortablement emmitouflé dans un linceul. Sa tête est appuyée sur un joli oreiller brodé. Serein, Il repose dans un cercle de verdure et de fleurs dans une lumière accueillante. Une petite bougie plantée dans un tas de «mǎlai»4 a été allumée à la tête du mort. Elle devra briller jusqu'à ce que ce dernier soit enterré. On m'explique que, dans certaines régions, on fabrique parfois une bougie qui doit avoir la taille du défunt.

Tout sourire, une petite grand-mère vêtue de noir, m’invite à m’asseoir à ses côtés. Passer la nuit avec un mort... une situation que j'imaginais particulièrement angoissante! Cependant, au risque de vous surprendre, la compagnie des petites veilleuses et de leur mort reste l’un des souvenirs les plus joyeux de mes aventures roumaines. Une nuit pleine de vie!


L'une des petites vieilles commençe à m'expliquer la préparation du mort.

Il faut d'abord le laver. Mais pas avec n'importe quelle eau! Avec «apǎ neînceputǎ»5, c'est à dire de l'eau puisée tôt le matin avant que quiconque ne se soit servi. Il est possible d'ajouter des plantes fortement parfumées comme de la menthe ou du basilic. Le mort est ensuite habillé avec des vêtements neufs et enfin maquillé. C'est également au cours de cette dernière étape que l'on colle les paupière et la bouche du défunt pour être sûr qu'elles resteront fermées.

Hors contexte, cette explication concernant le ''collage''pourrait paraître un peu rude. Cependant, à écouter le discours du comité des veilleuses, les choses semblaient tout à fait simples et naturelles. On louait la finesse du maquillage: le mort paraissait tout à fait vivant. La ''maquilleuse'' s'enquit tout de même du fait de savoir si elle n'avait pas trop forcé sur la colle? Fou rire des petites vieilles avant de vite rassurer l'artiste: "Tout est parfait". La nuit se poursuivit peuplée d'anecdotes diverses du temps où notre mort était encore vivant. On riait puis on s'attristait un peu avant de repartir de plus belle. A la fin d'une histoire particulièrement drôle, la sœur du défunt se leva pour lui prendre la main et l'embrasser. Les yeux humides, elle le regardait en souriant.

Le lendemain, quand le mort quitta sa maison pour son dernier voyage jusqu'au cimetière, cette pénible étape paru arriver naturellement. Trois jours et trois nuits à le veiller, à parler avec lui et à se remémorer les moments qui firent sa vie. Son départ semblait désormais accepté. Dans un cortège de parents, d'amis et de fleurs, le mort prit pour la dernière fois le chemin principal du village qu'il avait tant de fois emprunté de son vivant.

Cette nouvelle expérience roumaine, m'a permis, une fois encore, de comprendre toute l'importance sociale et psychologique des rituels, et notamment des rites funéraires d'une société.


« A la fin du 19e siècle, en Roumanie, Simion Florea Marian, consacre un ouvrage volumineux aux pratiques funéraires populaires en usage dans ce pays7. Ce recueil de pratiques s'imposait: à cette époque , la société roumaine profondément agricole ou pastorale selon les régions, se présentait encore comme une société de type traditionnel où la mort était assimilée à un passage préparé et maîtrisé, dans un ailleurs indubitable. Dans ce contexte, la mort offrait une richesse rituelle depuis longtemps oubliée en Occident.

Un siècle plus tard, alors que de profondes modifications se sont déroulées dans cette partie de l'Europe, un tel ouvrage ne devrait plus avoir que la valeur d'un témoignage sur un passé révolu. Développement économique, industrialisation et urbanisation, création de nouvelles structures sociales, introduction d'une idéologie d'État omniprésente et la volonté d'une nouvelle représentation du monde fondée sur le matérialisme historique ... tous ces traits caractéristiques des sociétés occidentales pour certains et propres aux sociétés communistes pour d'autres nous laissent présumer du bouleversement des pratiques traditionnelles ainsi que de la vision du monde qu'elles supposent.

Et pourtant ... La validité et l'actualité de cet ouvrage demeurent étonnamment pertinentes, et créent la surprise d'un inattendu: on enterre encore les morts dans les Carpathes comme on le faisait au XIIe siècle, et l'on prépare encore leur voyage vers les régions obscures de l'au-delà comme les paysans roumains devaient sans doute le faire dix siècles plus tôt. »

«En Occident, le changement des mentalités et des croyances consécutif à l'évolution de la civilisation a eu pour effet de ''folclore'' la mort dans un espace de déni. Nous avons peu à peu relégué la mort dans les discours du médical, du démographique ou de cette fiction contemporaine que devient l'actualité, et nos morts dans les chambres froides de l'oblitération. La mort nous indispose: nous l'avons rendue tabou à force de la désacraliser. (...)

Et voici que ce nouveau tabou n'a pas obtenu l'audience prévisible dans une société qui se veut encore plus matérialiste que la nôtre.

Ce n'est donc pas le déni de la mort qui s'offre à notre regard en Roumanie, mais le modèle d'une mort encore maîtrisée, au sens traditionnel du terme, c'est à dire un sentiment non de rupture mais de passage, qui donne lieu tant à l'observation de rites complexes concernant les défunts, la communauté des vivants et celle des morts qu'à une vision élaborée de l'au-delà. Des pratiques complexes s'étendant sur plusieurs semaines et plusieurs cycles, assurent au défunt une intégration réussi dans le monde de l'au-delà et affermissent le groupe villageois dans la certitude que l'ordre naturel est de nouveau possible. »8


Alors que la société roumaine a su conserver la richesse de ses rites funéraires, la mort est devenue, dans nos société occidentales, un événement quasi clandestin. A la place d'une conduite collective, catharsis des conflits, des obsessions, des angoisses qui nous habitent, nous rejetons la catastrophe ''thanatique''. Cette attitude entraîne alors des conséquences psychiques très négatives pour notre quotidien.

Les rites funéraires doivent, en effet, permettre d'exprimer, de résorber et d'exorciser un traumatisme que provoque la perte d'un Être cher. Les chances d'une vie meilleure demandent sans doute l'acceptation sociale et existentielle de la mort.


1 colac : petit pain rituel.

2 colivă : ‘’gâteau’’ rituel généralement préparé à base de blé bouilli ou d’orge selon les régions.

3 priveghe mortului : veillée du mort

4lai : polenta

5 neînceput : litt. non entamée, pas commencé

7 Simion Florea Marian, Inmormântarea la Români, Bucureşti 1892

8 Ioanna Andreesco, Mihaela Bacou, Mourir à l'ombre des Carpathes, Payot, Paris, 1986

vendredi 5 septembre 2008

A Petit Frère, Grand Chevalier !

Highslide JSTête la première dans le tiroir, papier, gomme et crayons : en deux secondes tout est sorti. C'est presque devenu un rituel, une évidence, quand je passe les mercredis voir mon petit frère, cinq minutes, à peine, se sont écoulées depuis mon arrivée, qu'il me colle une feuille sous le nez :
« On se fait un p'tit dessin ? »

Les yeux en l'air, un crayon dans la bouche, on réfléchit :
- « Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ... »
- « T'as trouvé ? »
- « Non pas encore et toi ? »

Pour ma part, tout le bestiaire de la création y est passé: girafe, chat, chien, cheval, canard et j'en passe, au fil des mercredis, j'ai épuisé tout mon sac à bestioles !

- « Elle va encore nous faire un hibou ou un mammouth ... » lance mon petit frère, les yeux fixés sur ma feuille

- « Et toi, tu vas nous faire un château ou un chevalier pour pas changer ... »

Ça commence généralement ainsi. Provoquer l'autre jusqu'à ce qu'il trouve ''LA'' nouvelle idée et quand il commence à dessiner:

« Tu fais quoi ? »
« J'te dis pas, pas le droit de regarder ! »

Mais cette fois-ci, adieu veau, vache, cochon, on venait de de me faire offense :

- « Bah, c'est sûr que toi, tu vas pas dessiner un chevalier ... »
- « Bah, pourquoi ? »
- « T'es une fille ! »

Le coup de Jarnac ! Jusqu'à ce jour, je pensais naïvement que moi, sa grande sœur, je ne rentrais pas dans la catégorie « des chigneuses qui savent seulement jouer à la poupée ». Il venait de me fourrer dans le sac! Je demandais donc sur le champ réparation. Je lui laissais le choix des armes, un crayon HB n°2 et la gomme ronde de mamie, mais j'imposais tout de même une condition : coloriage obligatoire!

Sans répit, on crayonna, gomma et coloria. A peine une pose tartine à la confiture et il fallait reprendre les armes! Quand la nuit commença à tomber en fin de journée, exténués, un cessez-le-feu fut convenu. Nos deux chevaliers posés sur la table de la cuisine, il fallait désormais juger.

Bien que j'avouais avoir jeté un coup d'œil ou deux sur son dessin pour la réalisation du casque et du château fort, mon petit frère me gratifia d'un «pas mal». Je sentais mon honneur se défroisser. Bien sûr, il fallait reconnaître que son chevalier était quinze fois mieux équipé pour le combat que le mien. Un casque qui protège le visage en entier, une armure complète des pieds jusqu'à la tête, une lance, une épée, un bouclier et même des fleurs à porté de main au cas où il croiserait le chemin d'une princesse ... Mais bon, j'étais tout de même assez fière de la barbe et des moustaches du mien!

Au final, nous avons décidé de réconcilier nos guerriers dans le même billet. Je vous laisse admirer nos chefs d'œuvre !

Vive les Mercredis dessin ! Vive Vincent !

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