mercredi 28 mai 2008

Hermangarde

Une matinée d’été…

Sur les bancs vermoulus, devant les chaumières, on ne s’attarda guère, ce soir-là. Habituellement, surtout à cette époque de l’année où les journées sont les plus longues, ces sièges de fortune peuvent être le lieu de paroles animées, de discussions décisives ou encore de silences réconfortants et partagés. Dès la fin de l’après-midi, des troupes de gros cumulus avaient amorcées leur incursion lente et inexorable et les travaux de fauchage avaient été écourtés. La chaleur accablante n’avait d’ailleurs pas permis un bon rendement et c’est sans grande hésitation que les villageois avaient pris la décision de rentrer. L’attente dans les chaumières sombres et sans air se vivait assez péniblement. On restait planté sur le seuil des maisons en jetant des regards dubitatifs vers le ciel et en interpellant celui ou celle qui se pressait avant l’orage. Comme les pastels que l’on étale avec le doigt, le ciel présentait un crémeux mélange de gris perle et de rose que des rayons teintaient encore à quelques endroits de reflets nacrés.
Le soleil se dissipa totalement, le camaïeu de gris s’assombrit et la nuit tomba. Les portes étaient restées ouvertes. On espérait un petit courant d’air qui chasserait cette étouffante moiteur. Du sol, montait l’odeur entêtante de la terre sèche et du bois chauffé au soleil. Tout quémandait cette pluie qui ne venait pas. Quelques éclairs faisaient parfois apparaître la scène qui se tramait plus haut. Les gros nuages, roulaient et grondaient dans le ciel noir, poursuivant leur intimidante parade. Tout restait en latence, contenu. On devinait l’éclatement probable mais les heures passaient et rien ne se produisait. On désespérait à ne voir jamais arriver l’issu salvatrice. Passé juste à côté…

Dans les deux pavillons à terrasses balustrées du premier étage, les baies vitrées étaient restées ouvertes. A l’intérieur, les chandelles brûlaient encore et les rideaux de mousseline tirés repoussaient les insectes charmés par la lumière. Sous les pas nerveux d'Hermangarde, grinçaient les lames vernissées du vaste salon . Elle sortit un instant sur le balcon et les draperies de la fenêtre s’enroulèrent dans les plis de sa robe vert malachite. Pourquoi voulait-on la retenir à l’intérieur? Il ne pleuvait toujours pas. Dans la bastide tout le monde semblait dormir et Hermangarde était plus accablée par ce profond silence que par la chaleur de cette nuit d’été. Elle avait hâte que le temps passe, que cet orage éclate enfin et que le jour arrive. Elle avait pris sa décision mais il lui fallait d’abord rédiger cette lettre, poser sur le papier le fouillis de ses pensées. Le temps était comme suspendu, abasourdie par un flux incessant de pensées, il lui faillait trouver les mots qui feraient repartir l’engrenage. Elle tournait donc depuis des heures dans ces coulisses d'arrière-scène où se préparent et se répètent les dialogues qui font de nous les pantins de nos jeux diurnes.

C’est quand l’orage avait enfin éclaté et que la pluie apaisante avait commencé à tomber que son esprit s’était délivré. Hermangarde s’assoupit dans le grand fauteuil de velours doré. Les ondées et les lourdes averses se succédaient maintenant sans discontinuer...
Quand elle ouvrit ses yeux de jade, une douce fraîcheur régnait dans la pièce. La lumière opale du début de matinée donnait aux objets familiers de la pièce un aspect différent, comme si tout était propre et neuf. Hermangarde ne s’était pas encore redressée, affalée dans le siège du coquet boudoir, elle entendit que l’on commençait à s’afférer au rez-de-chaussée. Elle sourit de contentement. La maison revivait.
Elle tira les draperies des fenêtres et passa sur la terrasse. Le jardinier, toujours très matinal, s’assurait que l’orage de cette nuit n’avait rien endommagé dans le parc. Les graviers blancs des allées luisaient sous les premiers rayons de soleil et une domestique essuyait les chaises de fer forgé laissées la veille sous les tilleuls. Grand-mère prendra son petit déjeuner dehors et tout devait être prêt quand elle se réveillera.
Sur le secrétaire, la lettre était déjà pliée dans l’enveloppe, il ne restait qu’à la cacheter. Hermangarde, souriante, pris la missive et se dirigea vers la porte qui menait au grand escalier central de la maison. Avant de quitter le salon, elle se retourna et observa la vaste pièce. Comme le calme de cette douce matinée pouvait contraster avec les ardeurs de la nuit. Les bruits, l’odeur, les couleurs, tout avait changé. Elle se sentait apaisée. Légère, elle dévalait l’escalier, sa lettre dans la main. Elle se sentait sereine et satisfaite. Tous les transports de cette nuit étaient désormais posés sur la lisse et blanche page que contenait la petite enveloppe

Pour ceux qui se posent la question : pourquoi Hermangarde, sur l’illustration, a troqué sa robe de velours vert canard pour un habit de noble garçon, je pourrais éventuellement donner cette réponse: une émotion est toujours à la base de mes dessins. Cette fois-ci, il s’agit d’une «impression joyeuse» ressentie après la visualisation de la pièce "Le Souper" de Jean-Claude Brisville. La scène se déroule à Paris le 6 juillet 1815 après l’abdication de Napoléon 1er, à la veille du retour de Louis XVIII sur le trône. Lors d’un souper succulent de rhétorique, Maurice Talleyrand et Joseph Fouché s’interrogent sur la nature du gouvernement à donner à la France. Fouché pense qu’il faut revenir à la République. Pour Talleyrand, il faut restaurer les Bourbons.
A l’issu d’une nuit de réflexion, sa petite enveloppe pleine d’une solution, j’imagine qu'Hermangarde fut envahie par le sentiment joyeux que procure la résolution orageuse d'un problème épineux. Quoi de plus naturel alors que de lui offrir ce costume de gentilhomme ?


Highslide JS

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2 commentaires:

  1. Les modifications des tailles des widgets et photos de marge ont été effectuées à ta convenance.

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  2. J'attends la remise en ligne de ton illustration offrant l'option d'agrandissement que tes corrections ont désactivée.

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