samedi 6 décembre 2008

Saint Nicolas, Saint Patron des Lorrains !

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Caroline TOSI

Le bon Saint Nicolas en tenue épiscopale, crosse en main arrive dans son pays de Lorraine. Après un long voyage à travers l’Europe et la Russie, le voilà de nouveau à la maison! Accompagné de sa fidèle mule et du vilain Père Fouettard, la troupe s’arrête, pour une dernière parade, devant la basilique de Saint Nicolas de Port.

Chaque année, ils cheminent à travers tous les pays qui célèbrent le «Saint Nicolas» et amassent durant leur parcours les trésors du patrimoine de chacun.
La Lorraine prépare alors joyeusement la venue de son Saint Patron et de ses acolytes. Ambiance chaleureuse et trésors de gastronomie. Voyez de quel bois se chauffent les lorrains !

En échanges d’agrumes, de chocolats et de pains d’épices, les trois voyageurs ont reçu …

Des madeleines de Liverdun et de Commercy dont la mule du Saint Patron raffole et des croquets de Saint-Mihiel qui croustillent sous ses dents !
Dans des verrines bien emballées, des confitures de groseille épépinées à la plume d’oie par les femmes de Bar-le-Duc.
Tels des colliers de camées, des dragées de Verdun qui cliquètent dans leur coffret. Pour toujours plus de confiseries, des bergamotes transparentes de Nancy dans des bonbonnières en pâte de verre et des bonbons adoucissants des sapins vosgiens.
Moelleux réconfort, ils ont mangé quelques morceaux de baba au rhum en souvenir du bon Duc Stanislas.
Sur des plateaux en émaux de Longwy, ils présentent les tartes aux fruits de la région : mirabelles, groseilles, quetsches et myrtilles, sur pâte brisée ou sablée selon les pâtissiers.
Palette de porc, saucisses et lard fumés, poireaux, haricots blancs, pommes de terre, choux vert frisé et navets, dans un pot de faïence lunévilloise, fume encore la potée lorraine.
N’oublions pas, les pâtés lorrains ou la tourte lorraine : échine de porc, noix de veau marinées, pâte feuilletée et crème pour cette dernière. La quiche lorraine au lard fumé et à la crème fraiche sur une pâte brisée.
Enfin, pour déguster un Gris de Toul, aux arômes fruités et floraux, une mirabelle ou même l’eau pure de Vittel et Contrexéville, nos trois compères ont reçu des cristalleries de Baccarat, une belle collection de verres gravés.

Quel accueil chaleureux! Seul le Père Fouettard, comme chaque année, est boudé par quelques enfants. L’homme à barbe noire a beau expliquer qu’il a jeté tous ses martinets et que son sac de charbon est en mémoire des bassins houiller lorrains, les plus petits sont restés sceptiques. Bien sûr, notre Saint Patron, bon et généreux, sait comment réconforter le Père Fouettard vexé de cette hostilité. N’ignorant pas que ce dernier est friand des pâtes d’amande qui collent auxdents, il lui réserve toujours les macarons de Nancy à la poudre d’amande et les boulets de Metz à la frangipane !

Une Saint Nicolas qui me permet de présenter quelques facettes de notre patrimoine lorrain. Appartenir, l’espace d’un billet, au groupe des ‘’imbéciles heureux qui sont nés quelque part’’ !
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vendredi 28 novembre 2008

Octobre

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'' C’est toujours plus tard qu’on ne pensait. Septembre est passé si vite, plein de contraintes de rentrée. Et, retrouvant la pluie, on se disait «Voilà l’automne» ; on acceptait que tout ne soit plus qu’une parenthèse avant l’hiver. Mais quelque part, sans trop se l’avouer, on attendait quelque chose. Octobre. Les vraies nuits de gel, dans la journée le ciel bleu sur les premières feuilles jaunes. Octobre, ce vin chaud, cette mollesse douce de la lumière, quand le soleil n’est bon qu’à quatre heures, l’après-midi, que tout prend la douceur oblongue des poires tombées de l’espalier. ''

Philippe Delerm


Ref.: Delerm Philippe, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, ‘’le pull d’automne’’, L’ARPENTEUR, Gallimard, 1997

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Une commande Au Claire de la Lune

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Au Claire de la Lune …

Au Claire de la Lune, brûle une chandelle.
Dans son Atelier, tissus en pagaille
Rubans roses, perles et bouts de ficelle
Ciseau à la main, Claire travaille !

Une robe de soirée,
Une jupe pour flâner,
Bijoux-bonbon fantaisies,
C’est une Artiste de génie !

Venez admirer tous ses beaux ouvrages,
Bagues de réglisse et poivrons rubis
Trouvez votre bonheur sur cette page
Curieux et amateurs, cliquez ici !

Demandez la Lune



mardi 25 novembre 2008

Le Garde-manger

« Zut, j’ai oublié les clefs ! ». Le garage est ouvert. Je peux tout de même accéder à la cave. Mais, pour le reste, tartines, confitures, petits biscuits et mélisse, il faudra attendre que mamie rentre. Se terrer comme un rat dans la cave deux heures durant alors que des trombes d’eau s'abattent dehors, c’est l’idée de joyeux bavardages autour d’un thé fumant qui me fait tenir… Après tout, je n'avais qu'à pas oublier ces clefs !

Je m’assois sur l’escalier. Les coudes sur les genoux, j’observe autour de moi. Cette pièce devrait m’être familière. J’y passe chaque fois que je descends au jardin. Mais en fait, j’y passe mais m’y arrête rarement. Je descends prendre parfois une bouteille de vin, une boîte de petits pois ou je remonte un litre de lait quand mamie accepte que je lui rende service, mais toujours au pas de course.
Cette villégiature forcée me donne enfin l’occasion de profiter de ce secteur négligé avec tous ses objets qui dorment dans la pénombre, méprisés.

A même le sol, filets d’oignons, pommes de terre et sacs de carottes, les réserves sont prêtes pour tout un hiver de soupes. J’imagine déjà les fenêtres embuées et la cocotte-minute sifflant vers cinq heures du soir. Joyeux vacarme d’un après-midi d’hiver qui puise sa matière dans cette caverne d'Ali Baba bien achalandée.

Sur les étagères: caisses à outils, boîtes à vis et planchettes de bois. Rangement maniaque: ‘’chaque chose a une place et chaque chose à sa place’’. Du plus petit jusqu’au plus grand, les clous sont parfaitement triés. Marteaux, scies et pinces multiples sont rangés dans une ancienne caisse de vins de Bordeaux. Comment imaginer nos mercredis d’antan et ses ateliers ‘’travaux manuels’’, si mamie ne maîtrisait pas parfaitement le ‘’secteur bricolage’’ de la cave ?

Sous l’escalier, un magot de pirates. Cagettes pleines de grosses pépites. Elles sont un peu fripées mais feront de merveilleuses compotes ou ''tartes Tatin''. Si le rituel ''lancer de quartiers de pommes devant la télé en regardant Colombo'' pouvait se perpétuer, c’est d’abord parce que mamie prend soin d’enrichir régulièrement le jardin fruitier de cette cave parfumée.

Et puis le garde-manger en bois gris-bleuté. Moi qui avais la prétention de connaître la maison dans ses moindres recoins. Je m’en veux terriblement de n’avoir jamais, lors de mes fouilles hebdomadaires, accordé plus d’attention à cette armoire magique. Des paniers en osier, indispensables quand les épiceries de quartier vivaient encore, sont entreposés au dessus du meuble poussiéreux. A l’heure des "Lidle", "Auchan" et autres supermarchés, on ne les sort guère plus que pour aller aux champignons.


Je me lève et tourne la clef. Le bois a joué avec l’humidité. Je dois un peu forcer sur les portes qui grincent. Ouvrir ce ‘’garde-manger’’, c’est un peu comme ouvrir un coffre à bijoux. Perles vernissées et émaux de verre, bocaux de fruits et pots de confiture. Tous scintillent comme des pierres précieuses. Gelées de framboises et de groseilles, confiture de mirabelles ou de fraises … elles sont rangées par couleur et par année. Bocaux de prunes et de cerises … il y a eu des amateurs, la réserve est déjà bien entamée.

Soudain, j’entends des pas. Mamie rentre avec son ''cadi'' à courses. Je referme promptement les portes du ‘’garde-confiture’’, le trésor doit paraître inviolé!
J’éteins la lumière avant de remonter et de "toquer" à la porte. Tout s’apaise dans l’obscurité de cette cave qui s’endort …

Je continue à venir prendre une bouteille de vin, une boîte de petits pois ou je remonte un litre de lait … toujours au pas de course. Pourtant, lors de mes passages en coup de vent, je prends désormais une seconde avant de refermer la porte. Rotation furieuse de la soupape et effluves de poireaux, coups de marteaux sur planches de bois, vapeurs caramélisées, parfums sucrés et acidulés, perles de cristal et vernis scintillants … une seconde pour que s’anime à nouveau les trésors de cette caverne merveilleuse.



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vendredi 7 novembre 2008

Înmormântare

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Pourquoi depuis ce matin, vois-je donc déambuler devant ma fenêtre des petites grand-mères, «basma»1 bien noué su la tête et gilet de laine noire sur le dos? Agitées, volubiles, décidées, rien ne semble capable de barrer leur route. Telles des fourmis opiniâtres, elles véhiculent dans leur migration une multitude d’objets hétéroclites.
En ethnologue avisé, impossible de laisser ce «pourquoi» en suspens... Je me chausse rapidement et enfile mon manteau. Aux aguets, je repère rapidement une proie. En queue de troupeau, une petite vieille, chargée d’un lourd «ceaun»2 et d’un encombrant fagot de bois, traîne le pas: plus propice à la capture que les autres, elle me mènera sans doute au lieu de cette transhumance...

Furtivement, je la suis. Nous descendons au centre du village, traversons le pont de la rivière, puis remontons quelques mètres l’autre versant. Je ne tarde guère ici à retrouver le gros de la troupe. Tous vêtus de noir, des villageois s’agglomèrent autour d'une maison. Sans attendre son tour, mon guide "à la marmite" fend la foule et entre dans la petite demeure en bois. La porte ouverte permet aux gens restés dehors d’assister à l’office qui est donné en ses murs. D’une voix grave, sans perdre souffle, le Pope psalmodie la liturgie propre à signer le grand départ.

Paré de sa toge dorée, nimbé d'un nuage d’encens, il sort enfin majestueusement du logis suivi d’un impressionnant cortège portant étendards, croix scintillantes, couronnes fleuries et arbre mortuaire décoré de bonbons, gâteaux et morceaux de chiffons. Voilà finalement, le roi de la fête qui apparaît: un homme bleu, raide comme la mort, trônant dans un cercueil ouvert gracieusement orné de fleurs. Moi qui viens d’une contrée où la mort est devenue taboue, face à mon premier cadavre, je sens mes jambes flageoler... Encore tout à mon émotion, je me laisse docilement happer par le cortège. Avant de laisser la maison, on brise un vase sur le sol.

Posé sur une charrette tractée par une frêle haridelle, l’homme, en fait un peu verdâtre à mieux y voir, sautille, hop, hop, dans son cercueil …Que Dieu me pardonne, mais un rire nerveux manque de m’étouffer. Cette brave bourrique parfaitement inconsciente du convoi macabre qu'elle tracte avec son bondissant défunt qui ne peut être que satisfait de cette ultime promenade: la "vie" des hommes et son lot de surprises !

Fort heureusement, cette envie de rire passe rapidement. Je suis serrée de près par trois étranges femmes. Ce n’est pas le moment de ralentir le pas. Des pleureuses !
Vêtues de noir de la tête aux pieds, elles gémissent, les bras levés au ciel. Elles enfouissent leurs hurlements de désespoir dans leurs mains crispées. S’il arrive que leur lamentations faiblissent, elles font mine alors de tomber. Leurs voisins, impassibles, les redressent sans un mot. Souffrent-elles autant qu’il y parait? Sont-elles payées pour s'adonner à ces outrances? Le secret restera scellé.

Inflexible, le cortège continue. Arrivé au cœur du village, une pluie métallique s'abat: on lance des pièces de monnaie par-dessus son épaule. Les enfants se précipitent pour s'en remplir les poches. Il est temps de rejoindre le cimetière.
Frêles lumières blotties dans de petits pots de verre. Toutes les tombes sont illuminées. Le cercueil est descendu en terre. Bouquet de fleurs, chapeau et paires de chaussures, une poignée de terre et enfin quelques pelletées complémentaires: le défunt est enterré.
Après les pièces de monnaie, on sort maintenant les billets. L’argent recolté sera donné «aux plus pauvres», et les bonbons qui décoraient les branches, distribués aux enfants.

Surtout, n’oubliez pas de décrocher une serviette nouée sur les couronnes ou sur l’arbre rituel. Les pièces que vous y trouverez devront être dépensées pour le mort!
Avant de quitter le cimetière, prenez un verre de vin ou de «ţuică», quelques «colaci»3 et une part de «colivă »4. Ces mets offerts, petite collation sucrée en guise d’apéritif, vous les retrouverez durant la «pomană»5 qui réunit famille et proches dans une ambiance joyeuse pour un repas au mort …


« Délier, purifier, achever: dès la levée de la bière, la séparation des mondes s’organise autour de ces trois axes. Comme s’il fallait achever un travail que la mort n’avait pas encore mené à son terme. De la maison au cimetière, du cimetière à la maison, et tout au long des quarante jours qui suivent l’enterrement, progressivement, tous les ponts sont coupés entre le mort et les vivants. Il faut brouiller les pistes et l’obliger à s’engager sur son chemin sans retour»
C’est ainsi que traditionnellement et dans certaines régions, une fois le cercueil à l’extérieur de la maison, portes et fenêtres sont fermées ‘‘pour qu’il ne regarde pas derrière lui’’. Pots, verres ou assiettes, ainsi que tous les objets présentant une ouverture, sont retournés afin qu’un contenant ne puisse servir d’invite et abriter une âme qui tarderait à s’en aller »

« Il ne se passe pratiquement pas un dimanche sans qu’un tel office soit célébré, ce qui explique sans doute aussi l’acceptation de l’idée de la mort à laquelle on s’habitue dès sa plus tendre enfance. Les enfants, le dimanche, sont friands de cette colivă dont le goût enchante, mais aucun d’entre eux ne le dégusterait en ignorant longtemps, qu’il accomplit en même temps un acte rituel »6

1 Basma : foulard, fichu
2 Ceaun : marmite en fonte
3 Colaci : petits pains rituels
4 Colivă : gâteau de gruau bouilli
5 Pomana : repas funéraire
6 Ioanna Andreesco, Mihaela Bacou, Mourir à l’ombre des Carpathes, Payot, Paris, 1986

vendredi 12 septembre 2008

Le Maître des Hibiscus

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Je vous ai déjà parlé du vaste Jardin d'Aliquando? Et bien, Hibiskos, le Maître des hibiscus était l'un de ses habitants. Il n'était pas le jardinier le plus âgé du parc, mais sa grande expérience et son savoir encyclopédique sur les hibiscus faisaient de lui un personnage très respecté dans le pays. Il était, lui aussi, considéré comme l'un des grimoires d'Aliquando.
D'attitude calme et posée, Maître Hibiskos était l'une des rares personnes dont Guimauve, la licorne la plus farouche du jardin, acceptait la compagnie. Le vieillard n'était pas très bavard mais il vous accueillait toujours avec un petit regard pétillant plus chaleureux qu'une salutation formelle.
Guimauve aimait gambader et paître dans la vallée des hibiscus. A l'image de son propriétaire, à l'humeur douce et constante, l'atmosphère du lieu était calme et reposante.
Les gestes du vieux jardiner étaient précis et son sens de l'observation aigüe. Ce matin-là, silencieux il scruta l'horizon puis se baissant avec souplesse, il palpa la terre. Il était temps que la pluie arrive.
Jamais il ne se trompait quant aux soins à prodiguer à ses plantes chéries. Avec les années, il avait appris à les connaître parfaitement et à anticiper leurs moindres besoins. Entre feuilles et pétales, vous l'auriez confondu avec l'une d'entre elles, tant il pensait hibiscus.
Infatigable, le vieil Hibiskos arpentait son vaste domaine et observait attentivement alentour. Les mains derrière le dos, il pointa son visage vers les cieux. Un sourire de bonheur arrondit sa moustache. Il se figea alors dans sa posture emblématique. Seuls ceux qui le connaissaient vraiment, comme notre fougueux petit poney à la robe gentiane, l'entendaient à ce moment chanter subtilement sous son chapeau. Dans ses yeux, milles éclats multicolores. Telle une tige, il se balançait désormais imperceptiblement au gré du vent. La danse de la floraison commençait son ballet ...

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lundi 8 septembre 2008

În preajma mortului

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«Tu veux voir ce qui se passe à l’intérieur? ». Pas le temps de répondre, on me fourre dans la pièce et la porte se referme promptement derrière moi. Dans cette petite chambre à l'arrière de la maison règne un chaleureux désordre: couronnes végétales, bouquets de fleurs fraîches, piles de serviettes éponge et bouts de chiffons, pâte à «colaci»1, marmite bouillonnante, braises dans le poêle. Fond sonore de rires et verbiages enjoués. Mon intrusion ne paraît nullement perturber le comité de joyeuses bavardes qui s’est réuni dans la demeure du défunt. Mieux, je semble tomber à pic. On a besoin d’une personne pour statuer: "La «colivă»2 est-elle assez citronnée ?".

Comment juger sans point de repère? Si dans ce pays tout le monde est sensé connaître le goût adéquat de ce ‘’gruau’’ rituel, il s’agit cependant pour moi de ma première «colivă». Que diantre, je dois assurer! Ne pas laisser passer la chance de pouvoir me rendre utile dans cette société et peut-être, briser mon image d’occidentale empotée. Je m’encourage et me persuade que chez «le français», l'art culinaire est inné. Trop ou pas assez citronnée, je ne peux pas me tromper. Feignant l’attitude sûre et détendue du connaisseur, je prends une cuillerée de la dite «colivă». Un mélange suave de noix et de blé à la douceur de miel et de vanille agrémentée d'une touche subtile d’agrume. Si la «colivă» n’existait pas, A.Ducasse l'aurait inventée! Je tranche: «C’est parfait ! ».

Première phase initiative remplie. Celles ayant trait aux rituels mortuaires vont venir: entourée d'un comité de grand-mères, je vais participer à « priveghe mortului»3. Trois jours et trois nuits durant lesquels le défunt ne doit pas rester seul à la maison. Reste une journée de veillée avant la levée du corps. Dans le petit salon, les meubles ont été déménagés. Seuls, un divan et deux fauteuils, sont restés le long du mur pour accueillir les ‘’veilleuses’’.

Sur une planche surélevée, au milieu de la pièce, trône notre défunt confortablement emmitouflé dans un linceul. Sa tête est appuyée sur un joli oreiller brodé. Serein, Il repose dans un cercle de verdure et de fleurs dans une lumière accueillante. Une petite bougie plantée dans un tas de «mǎlai»4 a été allumée à la tête du mort. Elle devra briller jusqu'à ce que ce dernier soit enterré. On m'explique que, dans certaines régions, on fabrique parfois une bougie qui doit avoir la taille du défunt.

Tout sourire, une petite grand-mère vêtue de noir, m’invite à m’asseoir à ses côtés. Passer la nuit avec un mort... une situation que j'imaginais particulièrement angoissante! Cependant, au risque de vous surprendre, la compagnie des petites veilleuses et de leur mort reste l’un des souvenirs les plus joyeux de mes aventures roumaines. Une nuit pleine de vie!


L'une des petites vieilles commençe à m'expliquer la préparation du mort.

Il faut d'abord le laver. Mais pas avec n'importe quelle eau! Avec «apǎ neînceputǎ»5, c'est à dire de l'eau puisée tôt le matin avant que quiconque ne se soit servi. Il est possible d'ajouter des plantes fortement parfumées comme de la menthe ou du basilic. Le mort est ensuite habillé avec des vêtements neufs et enfin maquillé. C'est également au cours de cette dernière étape que l'on colle les paupière et la bouche du défunt pour être sûr qu'elles resteront fermées.

Hors contexte, cette explication concernant le ''collage''pourrait paraître un peu rude. Cependant, à écouter le discours du comité des veilleuses, les choses semblaient tout à fait simples et naturelles. On louait la finesse du maquillage: le mort paraissait tout à fait vivant. La ''maquilleuse'' s'enquit tout de même du fait de savoir si elle n'avait pas trop forcé sur la colle? Fou rire des petites vieilles avant de vite rassurer l'artiste: "Tout est parfait". La nuit se poursuivit peuplée d'anecdotes diverses du temps où notre mort était encore vivant. On riait puis on s'attristait un peu avant de repartir de plus belle. A la fin d'une histoire particulièrement drôle, la sœur du défunt se leva pour lui prendre la main et l'embrasser. Les yeux humides, elle le regardait en souriant.

Le lendemain, quand le mort quitta sa maison pour son dernier voyage jusqu'au cimetière, cette pénible étape paru arriver naturellement. Trois jours et trois nuits à le veiller, à parler avec lui et à se remémorer les moments qui firent sa vie. Son départ semblait désormais accepté. Dans un cortège de parents, d'amis et de fleurs, le mort prit pour la dernière fois le chemin principal du village qu'il avait tant de fois emprunté de son vivant.

Cette nouvelle expérience roumaine, m'a permis, une fois encore, de comprendre toute l'importance sociale et psychologique des rituels, et notamment des rites funéraires d'une société.


« A la fin du 19e siècle, en Roumanie, Simion Florea Marian, consacre un ouvrage volumineux aux pratiques funéraires populaires en usage dans ce pays7. Ce recueil de pratiques s'imposait: à cette époque , la société roumaine profondément agricole ou pastorale selon les régions, se présentait encore comme une société de type traditionnel où la mort était assimilée à un passage préparé et maîtrisé, dans un ailleurs indubitable. Dans ce contexte, la mort offrait une richesse rituelle depuis longtemps oubliée en Occident.

Un siècle plus tard, alors que de profondes modifications se sont déroulées dans cette partie de l'Europe, un tel ouvrage ne devrait plus avoir que la valeur d'un témoignage sur un passé révolu. Développement économique, industrialisation et urbanisation, création de nouvelles structures sociales, introduction d'une idéologie d'État omniprésente et la volonté d'une nouvelle représentation du monde fondée sur le matérialisme historique ... tous ces traits caractéristiques des sociétés occidentales pour certains et propres aux sociétés communistes pour d'autres nous laissent présumer du bouleversement des pratiques traditionnelles ainsi que de la vision du monde qu'elles supposent.

Et pourtant ... La validité et l'actualité de cet ouvrage demeurent étonnamment pertinentes, et créent la surprise d'un inattendu: on enterre encore les morts dans les Carpathes comme on le faisait au XIIe siècle, et l'on prépare encore leur voyage vers les régions obscures de l'au-delà comme les paysans roumains devaient sans doute le faire dix siècles plus tôt. »

«En Occident, le changement des mentalités et des croyances consécutif à l'évolution de la civilisation a eu pour effet de ''folclore'' la mort dans un espace de déni. Nous avons peu à peu relégué la mort dans les discours du médical, du démographique ou de cette fiction contemporaine que devient l'actualité, et nos morts dans les chambres froides de l'oblitération. La mort nous indispose: nous l'avons rendue tabou à force de la désacraliser. (...)

Et voici que ce nouveau tabou n'a pas obtenu l'audience prévisible dans une société qui se veut encore plus matérialiste que la nôtre.

Ce n'est donc pas le déni de la mort qui s'offre à notre regard en Roumanie, mais le modèle d'une mort encore maîtrisée, au sens traditionnel du terme, c'est à dire un sentiment non de rupture mais de passage, qui donne lieu tant à l'observation de rites complexes concernant les défunts, la communauté des vivants et celle des morts qu'à une vision élaborée de l'au-delà. Des pratiques complexes s'étendant sur plusieurs semaines et plusieurs cycles, assurent au défunt une intégration réussi dans le monde de l'au-delà et affermissent le groupe villageois dans la certitude que l'ordre naturel est de nouveau possible. »8


Alors que la société roumaine a su conserver la richesse de ses rites funéraires, la mort est devenue, dans nos société occidentales, un événement quasi clandestin. A la place d'une conduite collective, catharsis des conflits, des obsessions, des angoisses qui nous habitent, nous rejetons la catastrophe ''thanatique''. Cette attitude entraîne alors des conséquences psychiques très négatives pour notre quotidien.

Les rites funéraires doivent, en effet, permettre d'exprimer, de résorber et d'exorciser un traumatisme que provoque la perte d'un Être cher. Les chances d'une vie meilleure demandent sans doute l'acceptation sociale et existentielle de la mort.


1 colac : petit pain rituel.

2 colivă : ‘’gâteau’’ rituel généralement préparé à base de blé bouilli ou d’orge selon les régions.

3 priveghe mortului : veillée du mort

4lai : polenta

5 neînceput : litt. non entamée, pas commencé

7 Simion Florea Marian, Inmormântarea la Români, Bucureşti 1892

8 Ioanna Andreesco, Mihaela Bacou, Mourir à l'ombre des Carpathes, Payot, Paris, 1986

vendredi 5 septembre 2008

A Petit Frère, Grand Chevalier !

Highslide JSTête la première dans le tiroir, papier, gomme et crayons : en deux secondes tout est sorti. C'est presque devenu un rituel, une évidence, quand je passe les mercredis voir mon petit frère, cinq minutes, à peine, se sont écoulées depuis mon arrivée, qu'il me colle une feuille sous le nez :
« On se fait un p'tit dessin ? »

Les yeux en l'air, un crayon dans la bouche, on réfléchit :
- « Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ... »
- « T'as trouvé ? »
- « Non pas encore et toi ? »

Pour ma part, tout le bestiaire de la création y est passé: girafe, chat, chien, cheval, canard et j'en passe, au fil des mercredis, j'ai épuisé tout mon sac à bestioles !

- « Elle va encore nous faire un hibou ou un mammouth ... » lance mon petit frère, les yeux fixés sur ma feuille

- « Et toi, tu vas nous faire un château ou un chevalier pour pas changer ... »

Ça commence généralement ainsi. Provoquer l'autre jusqu'à ce qu'il trouve ''LA'' nouvelle idée et quand il commence à dessiner:

« Tu fais quoi ? »
« J'te dis pas, pas le droit de regarder ! »

Mais cette fois-ci, adieu veau, vache, cochon, on venait de de me faire offense :

- « Bah, c'est sûr que toi, tu vas pas dessiner un chevalier ... »
- « Bah, pourquoi ? »
- « T'es une fille ! »

Le coup de Jarnac ! Jusqu'à ce jour, je pensais naïvement que moi, sa grande sœur, je ne rentrais pas dans la catégorie « des chigneuses qui savent seulement jouer à la poupée ». Il venait de me fourrer dans le sac! Je demandais donc sur le champ réparation. Je lui laissais le choix des armes, un crayon HB n°2 et la gomme ronde de mamie, mais j'imposais tout de même une condition : coloriage obligatoire!

Sans répit, on crayonna, gomma et coloria. A peine une pose tartine à la confiture et il fallait reprendre les armes! Quand la nuit commença à tomber en fin de journée, exténués, un cessez-le-feu fut convenu. Nos deux chevaliers posés sur la table de la cuisine, il fallait désormais juger.

Bien que j'avouais avoir jeté un coup d'œil ou deux sur son dessin pour la réalisation du casque et du château fort, mon petit frère me gratifia d'un «pas mal». Je sentais mon honneur se défroisser. Bien sûr, il fallait reconnaître que son chevalier était quinze fois mieux équipé pour le combat que le mien. Un casque qui protège le visage en entier, une armure complète des pieds jusqu'à la tête, une lance, une épée, un bouclier et même des fleurs à porté de main au cas où il croiserait le chemin d'une princesse ... Mais bon, j'étais tout de même assez fière de la barbe et des moustaches du mien!

Au final, nous avons décidé de réconcilier nos guerriers dans le même billet. Je vous laisse admirer nos chefs d'œuvre !

Vive les Mercredis dessin ! Vive Vincent !

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mardi 26 août 2008

Uşa urbană

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Retrouver cette première image. Revoir les choses
au travers d’un prisme déformant teinté de candeur…


La barrière s’est levée, les visages s'éclaircissent. On avait fini par ne plus y croire et pourtant nous voila enfin en Roumanie! Une bouteille d’eau de vie passe de siège en siège. On est à la maison! Silence de mort et tensions nerveuses sont restés à la frontière. Une agitation joviale règne désormais dans le bus bondé. On essuie la buée pour coller son nez à la fenêtre. Les yeux brillants, on observe le paysage que l’on avait ignoré jusqu'alors. Les choses ont-elles changé depuis la dernière fois? Reconnaît-on ce monde qui est le nôtre et va-t-il nous reconnaître? Sentiment que l'apprenti touriste ne peut, bien entendu, pas comprendre. Pourtant, une douce allégresse m'envahit, moi aussi.

*

Le bus fonce sur les routes défoncées au milieu d'étendues infinies grisâtres. Le ciel cotonneux de décembre commence à s'assombrir. On ne distinguera bientôt plus grand-chose. Texture de neige et de boue. Des chiens errants se disputent un sac de détritus. Le long de la nationale, silhouettes estompées, un groupe de femmes avance tête baissée. Imperturbables, elles ne s'inquiètent nullement des voitures qui les frôlent. De gros flocons tombent lentement entre chien et loup. Sur le bord des champs délaissés, se succèdent des panneaux publicitaires rouillés: Malboro, Smirnoff, Gin etc. Ici, la promotion de l’alcool et des cigarettes n’est pas prohibée!

*

A l’entrée des villes, enfilades de bâtiments délabrés construits sur le même modèle. Les petits balcons vitrés sur lesquels les gens entassent généralement objets divers et plantes vertes, servent éventuellement de garde-manger. A cette période de l'année, la ville s'est parée de guirlandes et enjolivures électriques pour les fêtes. Le matériel est un peu archaïque. Ça pendouille au-dessus des voitures et quelques ampoules sont grillées. Chacun y est allé de sa décoration. Petits kiosques à journaux, bars, places publiques ou grands magasins, tous les bâtiments de la ville doivent offrir un peu de lumière.

*

Et puis terminus, tout le monde descend ! Le bus s’arrête à proximité de la gare. Les deux pieds dans la neige, une sensation inoubliable m'envahit. Le doute, le doute d'une supercherie. Je me remémore le trajet. Les choses avaient peut-être basculé en sortant d'Autriche… En Hongrie, à moitié dans les vapes, j’avais déjà cru percevoir quelques bizarreries … Et puis, je m’étais endormie. Le réveil avait été un peu brutal. Les lumières s’étaient allumées dans le véhicule. Les passagers s'étaient mis à gesticuler. Les regards se croisaient. La pression montait. Il fallait montrer ses papiers. Assommée par les heures d’attente et influencée par le stress collectif, j'avais suivi le mouvement sans me poser de question. J’attendais, je ne sais quoi au milieu d'une foule d’inconnus. Le bus était reparti et le spectacle avait alors commencé. D’abord doucement, comme un réveil. Espaces vides infinis, des silhouettes qui se déchirent dans le soir... Je revois ces femmes emmitouflées dans leurs foulards. Sur l'un des visages, un regard malicieux... m’aurait-elle souri? Un clin d’œil? Un avertissement? Durant mon sommeil, le bus aurait-il emprunté un petit chemin épineux bordé de mûriers et de framboisiers?

*

Devant la gare , des femmes aux robes rouges et aux longues nattes tournent comme des fleurs. Elles proposent au passant des objets hétéroclites. Vieilles chaussures, ustensiles de cuisine usagés, bouteilles en plastique vides. A leurs pieds s’entassent de petits chiots dans une boîte en carton. Un homme entre dans la gare, une table accrochée dans le dos et une grosse scie rouillée sous le bras. Dans le hall, un vieux fait la queue au guichet. Il jette des regards anxieux sur son bagage laissé en retrait: des cages superposées dans lesquelles piaillent des volailles affolées. Et ces enfants qui courent à moitié nu dans la neige. Ils déposent devant la porte d’un magasin un cadavre de chien. Ils demanderont quelques pièces à la vendeuse pour la débarrasser de la dépouille. Sur le quai, deux personnes trinquent joyeusement une bouteille de «Murfatlar» à la main. Ils viennent de l'acheter dans l'un de ces petits kiosques que l'on trouve un peu partout et qui me deviendront familier par la suite. Bonbons, journaux, gâteaux apéritifs, cafés, «covrigi», graines de tournesols, briquets, croissants, allumettes, sodas, boissons alcoolisées etc. De véritables cavernes d’Ali Baba! Une envie de pop-corn vous surprend à trois heures du matin? Vous descendez dans la rue, vous faites tout au plus trente mètres et vous trouvez votre bonheur. Même de loin, vous reconnaîtrez facilement ces petits magasins préfabriqués aux mosaïques multicolores. Ils proposent en devanture tout un panel de cigarettes. Ne vous fiez pas aux apparences. Tristes cartes postales que les médias ont bien voulu nous envoyer de l'Est, les choses qui s'animent, dévoilent des secrets. Au fond de l'air vous entendrez siffler le tourbillon de la vie! Plus tard, j'apprendrai à me familiariser avec ces agglomérations. Dans certaines, même, des chantiers à l’abandon, des montagnes de déchets, des rues défoncées, des égouts qui débordent et la misère qui se traine. Et pourtant, privilège ou non de l’étranger candide, ce n’est pas ce qu'il retient.


Cette peinture, début XXIème, aux couleurs criardes, vous surprend d’abord par son ambiance burlesque et contrastée. Pans de modernité sur bases vétustes, nouvelles technologies et croyances ancestrales. Cette société à deux vitesses vous offre des situations parfois comiques, parfois attendrissantes, parfois déroutantes. Prenez un taxi. De la voiture dernier cri à la Dacia 1100, chapelets et pompons rouges au rétroviseur, icônes et Vierges en plastiques sur le tableau de bord. Une affiche indique que le port de la ceinture est désormais obligatoire mais le chauffeur, lui, ne l'a pas bouclée. Sur la nationale, coups de klaxon et accélérations fulgurantes, on double en trombe les charrettes. Chevaux lancés au grand galop ou bœufs placides, les automobilistes doivent slalomer. On passe devant une église, le chauffeur se signe trois fois puis injurie le piéton qui voulait traverser. Devant un McDo, un groupe de jeunes habillés à la dernière mode échangent leurs numéros de portables. Ils viennent sans doute de payer leur abonnement ou de recharger leur carte chez Connex, Orange ou Vodaphone. Sur le trottoir d’en face, des vieilles, bien au chaud dans leur vêtements de laine sont venues vendre au marché des plantes médicinales et aromatiques, des sacs de noix, des graines de tournesols et de citrouilles, des pommes de terres et des navets. Les grands supermarchés commencent à fleurir mais la «piaţă» garde tout de même une place centrale dans les petites villes.

*

Et les Rroms ? Au début, j’étais intriguée par ces femmes aux jupes bariolées qui braillent dans les rues, les moustachus au grand chapeau noir, les charrettes bourrées de marmaille et de musiciens... «Ce sont des Ţigani» me précisa, un jour, un ami qui semblait me plaindre de tant de naïveté. Les tensions ''Romano-Rroms'', représentent toujours une réalité sociale. Je n'aborderai pas le sujet. Je connais trop peu le monde Rrom et laisse les spécialistes en parler. Je me permets cependant de terminer ce billet avec un extrait tiré du texte de M. HOULIAT Bernard1. Légendes multiples et farfelues, elles entretiennent le mélange de crainte et de fascination que l'on a pour les Rroms.


« Les ancêtres des Rroms ont libérés le soleil que les dragons séquestraient quelque part au bout du monde. Grâce à eux, l’humanité reçut de la lumière. Peut-être les Rroms sont-ils venus de la Lune ou ont-ils débarqué d’un météore ? A moins qu’ils ne soient le fruit des amours d’Adam avec une autre femme, qu’il aurait connue bien avant Eve et le péché originel.

Ils sont aussi les descendants de tous les peuples dont les pas se sont un jour effacés, ces peuples-énigmes qui nourrissent l’imaginaire et les spéculations les plus loufoques. Ils sont les tribus d’Israël dont on a perdu les traces après leur captivité à Babylone, les descendants du Chur ou de Canaan, tous deux fils de Cham. Voltaire nous apprend qu’ils sont Egyptiens et les héritiers des prêtres d’Isis. Rescapés aussi de l’Atlantide et de bien d’autres contrées légendaires englouties dans des passions telluriques.
Le dénominateur commun à toutes ces légendes est que les Roms ont survécu, seuls témoins de quelque chose qui dépasse notre entendement. Voilà bien une des qualités profondes de ce peuple, affirmée au fil des siècles : la faculté de survivre.
Et s’ils ont échappé à tous ces cataclysmes, ce n’est, dit la légende, que pour expirer une faute originelle : l’un des leurs a forgé les clous de la croix du Christ. D’autres ont volé un clou de la même croix. Ce qui leur vaut d’être condamnés à l’errance et à l’abjection jusqu’à la fin des temps.
Une autre légende rapporte qu’Hérode ayant fait encerclé Jérusalem pour que l’Enfant Jésus ne puisse y pénétrer, une vieille Tsigane accepta de le faire passer en cachette dans son panier. Pour la récompenser, elle et sa descendance, Dieu permet depuis lors à tous les Tsiganes de dérober jusqu’à l’équivalent de cinq sous par jour, ce qui ne serait pas considéré comme du vol. Au dessus de cinq sous commencerait le péché.
»


1Tsiganes en Roumanie, HOULIAT Bernard (Texte), SCHNECK Antoine (Photographies), Éditions du Rouergue, 1999

***

mercredi 6 août 2008

Un Papour de 6 août

Highslide JS

Ouvrir un Blog. Une angoisse à dépasser.
Appuyer pour la première fois sur la touche ‘’publier’’. Un clic et la terre entière a accès à toutes les informations que vous avez cru bon, un jour, de diffuser. Lire vos idioties du moment, utiliser vos images, vos textes, souligner vos fautes d’orthographes, envoyer des commentaires, déclarer haut et fort « cette personne n’est pas digne d’ouvrir un Blog ! ». Voilà ce dont sont capables les liseurs du Net ! C’est un risque à prendre…

Les premiers temps, j’avoue avoir été sujette à quelques crises d’angoisses. Devenue insomniaque, je me relevais la nuit pour relire une vingtième de fois mes billets. Je corrigeais, j’hésitais, je gommais, je récrivais puis je republiais.
Une semaine passait et l’épuisement m’accablait. A ce rythme, c’était la perte assurée si je n’avais pas décidé de confier mon problème à un spécialiste, génie de l’informatique.
Site, Blogs, Forums, mon papa était maître en la matière : « l’Informatique est un merveilleux moyen de communication qui doit se conjuguer avec partage ! ».
Pour lui, l’envoi d’un message n’est qu’une affaire de clic et jamais sa main ne tremble quand il s’agit d’appuyer sur la touche « publier ».
Aujourd’hui, toujours à ses côtés, j’apprends à éditer mes billets avec un peu plus de sérénité. L’idée d’envoyer un message à travers le monde Internet-galactique ne me panique presque plus.
D’ailleurs preuve de ma guérison, je décide d’utiliser ce fantastique moyen de communication pour souhaiter, face à la terre entière, un très Joyeux Anniversaire à mon petit Papour !

Et comme « Anniversaire » rime souvent avec « Cadeau », voici celui que j’ai trouvé derrière la porte dans la pendule…

Il était une fois, une petite maison au cœur de la campagne.
Si les meuleuses, perceuses, scies sauteuses, tondeuse à gazon, et autres moteurs réservent leur fanfare aux étendues urbaines, dans ce petit coin de nature la musique se fait douce et subtile. Des vaches qui ruminent dans le silence de l’été. Les longues barbes de l’orge qui sifflent dans le vent. Le bourdonnement des insectes dans les champs fleuris. Le léger craquement des branches sous les grappes de fruits. Rien de moins doux ne sonnera à votre oreille.
A l’ombre des tilleuls vous aimez vous installer. Le vent chaud de l’été murmure dans les feuillages. Petit coin de lumière tamisée, cet endroit est idéal pour les heures de lecture et d’écriture. Vous n’êtes d’ailleurs pas le seul de cet avis. Quelques ronds de jambe, un ronronnement en guise de salutation. Sur vos pieds ou sur la table, puisque sur votre livre c’est interdit, le gros chat chartreux s’installe pour la sieste.
Ce n’est qu’en fin d’après-midi, quand vous décidez de vous lever, qu’il daigne, lui aussi, se bouger. A ce moment de la journée, l’air est agréable. Le foin coupé, qui sèche dans les près, répand son odeur suave de miel. Vous partez admirer les fleurs et les arbres qui vous récompensent, enfin, de vos soins attentifs. Drapé de mousseline émeraude, brodé de pourpres et d’orangés, parures de fruits vernis et coiffe d’hortensias mauves, Dame Nature est rayonnante ! Bientôt, il faudra commencer la taille et rentrer tout ce petit monde à l’abri dans le jardin d’hiver. Derrière les grandes baies vitrées ce concentré d’été, viendra colorer les pâles après-midi de janvier. Mais pourquoi cette nostalgie ? La belle saison n’est pas encore terminée ! Demain c’est le 6 août et pour cette belle occasion, famille et amis se réunissent. A l'ombre des arbres fruitiers, on dresse la table dès la fin de matinée. Assiettes de porcelaine, couverts en argent, les verres, du plus petit jusqu’au plus grand, brillent sous les rayons du soleil. Ocre, rosé et rouge vermeil les vins présentent, eux aussi, leurs robes les plus belles. Le repas s'étendra jusqu'au soir. En ces journées, de dimanche à la campagne, le dîner et le souper se donnent la main pour une ronde de bonne humeur.
Au calme de la nuit, vous vous installez au pied du vieux saule. Drap de satin pailleté, et poudre dorée, les astres vous offrent leur spectacle d’été. Embrassées par la tiède moiteur qui ressort de la terre et des écorces, vos paupières se ferment doucement. C’est à cette heure de la nuit que la nature exhale ses doux parfums d’amour.
Témoin dissimulé, vous entendrez peut-être cette étrange histoire : « Peggy la libellule, commère des roseaux la narrait à Lucy la luciole, midinette des près » …

Tous mes souhaits de Bonheur, mon petit Papour. JOYEUX ANNIVERSAIRE. Je t’embrasse très très très FORT. Merci d’être ce que tu es.

Caroline

vendredi 18 juillet 2008

La porte dans la pendule

«La première force d’une histoire est évidemment de nous transporter en quelques mots dans un autre monde, celui où nous imaginons les choses au lieu de les subir… »


Jean-Claude Carrière 1


Highslide JS



Partir dans la pendule! Tourner la clef de bronze et entendre grincer la porte. Un arrêt sur les marches, je m’assure que l’horloge est bien fermée derrière moi. Je clenche la poignée de porcelaine. Je m’en vais !

Dans la pendule, c’est un peu comme sous l’édredon de chez mamie. Ici, rien de mauvais ne peut vous arriver. On s’enfonce sous le poids des plumes et les draps de gros coton vous calent parfaitement. Le matin, il suffit de se glisser doucement hors du lit. Les couvertures sont restées bien tendues comme si personne ne s’y était posé !

La lumière est douce, juste suffisante pour ne pas sombrer dans le rêve mais que s’installe légèrement vaporeux le décor de la rêverie. Cet univers chimérique est celui du tout possible. Gommer les traits qui vous déplaisent, mélanger les genres, faire réagir les autres à votre guise ou recommencer cent fois une scène jusqu’à ce qu’elle vous convienne tout à fait. Les détails sont de plus en plus nombreux et les songes deviennent troublants de réalité. La réalisation d’un ‘’bon scénario’’, suffit alors à vous faire passer une joyeuse journée.


Comme un matin d’hiver, quand sonne le réveil, il faut s’extirper de dessous la couette. Face à cette agression, on cherche mille solutions. Rester encore un peu dans ce cocon de douceur! Pourtant, même dans ce refuge, il existe un danger, celui de croire à la réalité de ses propres rêveries…


«Les dieux, ou Dieu, personnages changeant d’une histoire humaine, en viennent ainsi à détrôner leurs inventeurs et nous nous prosternons sans résultat devant nos fantômes (…) Nous sommes comme Balzac qui, dit-on, sur son lit de mort, appelait au secours un de ses personnages, Horace Bianchon, seul médecin en qui il eût encore confiance… » 2


Avant de déboucher la petite fiole de poudre pailletée, assurez-vous de posséder l’antidote et son mode d'emploi. Une prise anarchique de la potion vous condamnerait à errer définitivement entre deux mondes. Pratiquer l’art du conte, demande une connaissance essentielle: savoir poser un début et une fin.

Pour ma part, si je reste consciente du détour tortueux que peut prendre l’imaginaire, je choisis quand même de prendre le risque. Cependant, mon petit flacon d’illusion en main, ce n’est pas tant le danger du non-retour que je crains, c’est celui du mauvais chemin…


Faites que jamais je ne me perde sur les routes du «Magicien d’Oz» ou sur celles d' «Alice au pays des merveilles»! Frank Baum et Lewis Carroll sont les deux responsables des plus grands traumatismes de mon enfance. Se perdre sur des chemins sans fin, être bousculé par un lapin en costume, boire le thé avec un chapelier fou, se cacher d’une reine sanguinaire qui hurle: "Coupez lui la tête ! ".


Exemple probant de dérive imaginaire!


Sur ces mots, je vous laisse en compagnie d'Alice et de la Duchesse après une mise en garde qui ne doit pas choquer certains de mes lecteurs. Dans notre société sécuritaire, il est bon d'afficher cet avis:

« Conter peut nuire à la santé »


Restez vigilants !





1 Jean-Claude Carrière, Contes philosophiques du monde entier, Le cercle des menteurs 2, Plon, 2008
2 Idem
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mardi 8 juillet 2008

Înviere

Highslide JS

Pour comprendre toute la gaieté de «Înviere» (Résurrection/ la Grand Messe), la grande fête chrétienne de Pâques, il faut revenir quarante jours en arrière quand commence «Postul Mare» ou «Postul Paştilor» (le Grand Carême).
«Avant tout le carême est un voyage spirituel et sa destination est Pâques», précisent les orthodoxes. Comme dans le culte occidental, Postul Mare dure 40 jours; mais, contrairement à l'Occident, les dimanches sont inclus dans ce nombre. Le Grand Carême est fixé en fonction de la date de Pâques, qui est une fête mobile. Il commence officiellement un lundi, sept semaines avant Pâques, après «Duminica Izgonirii lui Adam din Rai» (Dimanche de l'expulsion d'Adam hors du Paradis) et se termine le soir de «Sâmbata lui Lazăr» (le samedi de Lazare), la veille du Dimanche des Rameaux, «Duminica Floriilor».
Cependant, les gloutons ne sont pas encore au bout de leurs peines. Le jeûne continue encore une semaine, «Săptămâna Patimilor» (la Semaine Sainte), jusqu'à Pâques !

Cette période de «Post Mare» est caractérisée par l'abstention de certains aliments mais aussi l'intensification de l'aumône, des offices religieux ainsi que de l'effort personnel pour agir en conformité avec la volonté de Dieu.
Les restrictions alimentaires sont assez rigides pour les orthodoxes puisqu’elles interdisent la consommation de toutes les nourritures d’origine animale (poisson, produits laitiers, œufs) mais également du vin et de l’huile. Cependant, le jeûne étant canoniquement interdit le jour de Sabbat et le jour du Seigneur, le vin et l’huile sont autorisés les samedis et les dimanches. Une autre règle explique que si la fête de l’Annonciation, « Buna Vestire » (le 25 mars), tombe durant la période de jeûne, le poisson, le vin et l’huile sont autorisés ce jour-la. On parle alors de «jours déliés» (« zile dezlegate »).

Dans le quotidien et surtout de nos jours, le jeûne n’est, bien entendu, pas respecté de façon scrupuleuse. Beaucoup le réduisent à quelques jours ou à de petits efforts sur les quantités de nourritures. Pourtant, pratiquants ou non, on ne peut ignorer l’entrée en Carême. Les périodes de «post», sollicitent une organisation particulière qui se manifeste de différentes façons notamment dans le paysage urbain. La plupart des commerces placardent, par exemple, leurs devantures d’écriteaux annonçant la vente des nourritures «de Post». Les magasins alimentaires, les restaurants, les pâtisseries ou autres «fast-food» proposent à leur clientèle tout un panel de nourritures spécialement adaptées. A la télévision, à la radio, dans les rues, dans les vitrines, sur les conditionnements, les publicités abondent et informent de l’arrivée des «produits post». Beaucoup de marques alimentaires se félicitent de pouvoir offrir aux clients leurs produits «version post» et de faciliter ainsi leur quotidien. Dans les rues, les pâtisseries et autres «prêt-à-manger» où les citadins viennent se restaurer, on propose «plăcinte»1, «gogoşi»2, «cozonaci»3, feuilletés, sandwichs, saucissons (vive le soja !) et autres nourritures « spécial post». Les librairies mettent en rayon des livres de cuisine spécialement élaborés pour ces périodes de jeûne, de nombreux sites Internet partagent des pages entières de recettes et les magazines féminins à la mode comme «Lumea femeilor» donnent des idées de repas «à la fois diététiques et de post». Bref, c’est la folie !

Cette période se caractérise également par d’autres pratiques. Notamment celles des grands nettoyages. Couvertures, tapis, tapisseries, rideaux draps et tout le linge du foyer est secoué, lavé, séché et repassé. La vaisselle est passée à grand-eau et soigneusement empilée en attente du grand jour. La maison est nettoyée de fond en comble, tout doit être ‘’purifié’’ et paraître neuf. Les plus scrupuleux repeindront même les mûrs! Plus on avance dans le «post» plus on ressent la force de ces fêtes de Pâques. Dans l’air on perçoit le bourdonnement annonciateur d’un grand évènement. Chacun dans une agitation curieusement contrôlée répète les gestes ancestraux. Les plus attentifs remarqueront sur les lèvres, un discret petit sourire, prélude du Grand Jour !

L’importance et la rigueur du Carême dans l’Eglise Orthodoxe est à la mesure de l’importance qu’elle porte à la fête de Pâques. C’est en effet pour la fête de Pâques que se rassemble le plus grand nombre de fidèles dans les pays de tradition orthodoxe. Parfois, bien plus qu'à Noël, contrairement aux pays occidentaux de tradition catholique…

Il va être minuit, nous partons pour l’ «Înviere». Sur le chemin principal qui mène à l’église il fait nuit noire. Pas de panique, il suffit de suivre les autres ! Les villageois sont venus nombreux pour la messe et certains doivent rester dehors. Heureusement pour eux, l’ambiance est si chaleureuse dans la petite église, qu’elle s’est entourée d’un halo. J’observe les lieux. Rien à voir avec nos édifices austères. Dorures, tapis, fleurs et boiseries: j’ai l’impression d’être dans un salon. Sur le mûr de gauche j’aperçois même une grosse montre en plastique qui indique l’heure. Vraiment de tout le confort ! Les heures passent et dans ce cocon de chaleur je me serais presque endormie si subitement les gens ne s’étaient pas pressés vers l’autel. Un cierge dans la main, nous partons chercher la lumière apportée par le «preot». Pour bien se réveiller, un peu d’exercice: trois tours de l’église, bougie à la main.

Tant de monde réuni, mille étoiles dans la nuit. S’est vraiment joli ! Seul point négatif pour un débutant de l’ «Înviere»: apprendre à gérer la cire qui coule sur les mains et la distance avec la manche du voisin. Sinon, c’est merveilleux! De retour dans l’église, dernier chapitre avant la distribution des «Paşti». Dans un récipient que l’on recouvrira d’un linge blanc, le preot verse à chacun le pain et le vin sanctifiés. Dès le lendemain et pendant trois jours, il faudra dès le réveil se laver le visage et manger trois cuillerées de «Paşti» avant de prier. Le rituel effectué on pourra alors commencer à partager, après cette longue période de jeûne, les nourritures festives!
Pour le moment, il est temps de rentrer pour aller se coucher. Dernier repos avant le début de la Grande Fête. Sur le chemin qui nous mène à la maison, de nouveau l'obscurité. Je me guide au son des salutations :

« Hristos a inviat ! Adevarat, a inviat ! »


1 « plăcintă » : sorte de beignet en forme de crêpe généralement fourrées.
2 « gogoaşă » : beignet nature ou fourré.
3 « cozonac » : sorte de brioche traditionnelle

mardi 24 juin 2008

Si tu t’imagines…

Highslide JS



Hier encore, je jouais à la marelle.
Un, deux, trois… je saute jusqu’au ciel.
Les mains blanches de craie,
Rentre, c’est l’heure de dîner.
Aujourd’hui, je vais en ville avec maman,
Pour acheter une robe et des rubans.
Dans peu, viendront parents et amis
Au mariage de ma sœur Émilie.

La couturière s'est écriée en me voyant:
«Comme elle a poussé, ce n'est plus une enfant!».

Sur le comptoir s'étale un beau tissu vermeil.
Maman, ravie: «Il est parfait. Quelle merveille!».
On a pris les mesures, choisi un galon de dentelle.
Je m’imagine déjà, gracieuse, sous mon ombrelle!
« Dans une semaine, vous en êtes sûre?»
« Elle sera prête, je vous l’assure!»

Depuis que ma robe est commandée,
J’ai rangé toutes mes poupées.
Je ne suis plus une fillette!
Finis jouets, adieu dînettes!

Un peu de rouge sur mes joues,
Ruban velours autour du cou.
Sur les paupières ombre nacrée,
Un bracelet à mon poignet.
Face au miroir, anxieuse, je me regarde.
Il est temps de partir et pourtant je m’attarde.
Mon enthousiasme a disparu.
Grandir, pourquoi? Je ne veux plus!

«Votre fille, Madame, une vraie Demoiselle!»,
« Votre portrait, Dieu, qu’elle est belle!».

Sourires et mots élogieux,
Hier encore, j’en faisais vœu.
A cette heure, je suis lasse.
Toutes ces flatteries m’agacent.
Dans certains regards, étrange lueur,
D'un monde qui me fait peur.
S’entrouvre la porte devant moi,
D'un univers que je ne connais pas…

Le matin, je suis heureuse de retrouver,
Sophie la poupée et l'ours Barnabé.
Dans la main une tartine de miel,
A cloche pied je joue à la marelle.
Derrière le portail, j’entends crier mon nom,
Pauline est venue me chercher avec Lison.
Mes amies sont parties se cacher.
En attendant, moi, je dois chanter…
«Promenons-nous dans les bois,
pendant que le loup n’y est pas…»


***

jeudi 19 juin 2008

Timpul cireşelor…

Highslide JS


Le merisier ou ‘‘cerisier doux’’ qui donne des fruits fermes et sucrés comme les Bigarreaux ou les Guignes. Le griottier ou ‘‘cerisier acide’’ dont les fruits plus mous sont acides, pour les griottes, voire acidulés, pour les anglaises. Il existe environ une trentaine de variétés cultivées dans l’hexagone Pour faire plus simple, on parle généralement de ‘‘cerises douces’’ à manger directement sur l’arbre et de ‘‘cerises acides’’ très bonnes en tartes, bocaux ou confitures. Dans les deux cas: «Ce sont des cerises !». En tout cas, c’est ce que je croyais…

Râteaux et faux sur l’épaule, nous partions à la fraîche sur le petit sentier, celui de derrière la maison: activité commune pour tout le village. C’était la période de fauchage. Le ciel bleu immaculé laissait au soleil toute la joie de s’exprimer. La journée s’annonçait caniculaire. Nous enjambions les barrières de bois qui délimitent le terrain en parcelles et dans notre promenade, nous traversions des vergers. Hautes herbes, lumières tamisées. Quelle douce fraîcheur à l’ombre des feuillages ! Quand, en passant sous de beaux arbres lourds de fruits, je m’exclame: «Oh, des cerises !». Silence général et enfin les moqueries qui fusent…
Je suis taxée de ‘‘citadine’’ ou de ‘‘française’’ (en roumain, les deux mots sont synonymes…), incapable de faire la différence entre une pomme et une poire ou entre des cerises («cireşe») et des «vişine» (par respect pour mes amis roumains, je ne traduirai pas ce dernier mot par ''cerises'' griottes).
Pourtant, moi, j’en étais sûre. Quand j’étais petite, la ‘‘tante Hélène’’ prévenait toujours ma grand-mère à cette époque de l’année : «Passez donc avec les cocottes pour cueillir des cerises aigres, les oiseaux les mangent sur l’arbre!». Et bien les cerises de la tante Hélène ressemblaient trait pour trait à leurs «vişine» ! Qu’on me traite de ‘‘citadine’’, passe encore (y’a du vrai…), mais accuser la tante Hélène de ne pas savoir faire la différence entre une pomme et une poire, c’est outrepasser les limites du respect!

Dans un silence absolu je ratissais ma ligne d’herbe. Il ne fallait garder le rythme. Devant nous, les hommes fauchaient, derrière, chacune sur un rang, les femmes amassaient l’herbe, progressant jusqu’aux trois piquets de bois dressés en cône pour former la «Căpiţă». J’observais, admirative ces petites grand-mères aux yeux rieurs, toujours bavardes, porter sur leur dos des tas d’herbe trois fois haut comme elles. Les mains arrachées, les bras en compote, j’étais fière d’avoir appartenu, le temps d’une journée, à leur groupe. Derniers coups de râteaux pour consolider la «Căpiţă», nous partions rejoindre les ‘‘faucheurs’’ déjà installés à l’ombre, un verre de «ţuică» à la main…

Installée dans ce petit Paradis au cœur d’un verger, je regarde briller "Dame Eté" et sa parure de rubis. Cerises ou «vişine», peu importe, en croquant dans cette chair vernissée me voilà transportée dans un petit jardin du nord-est de la France. Perchée sur l’escabot je lance les fruits par poignées dans le panier tenu par ma sœur. Plus haut, dans le potager, mamie et tante Hélène commentent la croissance des salades…

Puisque c’est à cette période que les cerises, premiers fruits de l’année, sont cueillies, le mois de juin est également appelé, dans la tradition roumaine, «Cireşar» ou «Cireşel» (cireşe = cerises). Au mois de juin, les jours sont les plus longs et le ‘‘temps calendaire’’ parallèlement à la végétation arrive à maturité. Les besognes sont diverses: bécher et enterrer les pommes de terres, faucher et mettre l’herbe à sécher, commencer les travaux de moisson, cueillir les herbes médicinales et les premiers fruits des bois. Dans les régions d’activités pastorales, les bergers et leurs troupeaux occupent les vastes prairies pour la «vărat» («vară» = été ; a văra = passer l’été, faire paître)… Pourtant, aussi prometteur que puisse paraître ce premier mois de l’été, aucune certitude concernant les futures récoltes. Un orage, des rafales de vents, des pluies torrentielles accompagnées parfois de grêle peuvent dévaster les champs cultivés ou les vignes.

En roumain, «sânziană» ou «drăgaică» (sud de la Roumanie) qualifie une plante herbacée vivace que l’on connaît, chez nous, sous l’appellation de Gaillet mollugine. Quelques variétés de Gaillets sont également appelées «caille-lait», du fait de la présence d'une enzyme permettant de faire cailler le lait. Dans la tradition populaire roumaine, le nom de cette rubiacée est également celui d’une divinité protectrice des blés et des femmes mariées. Née le jour de l’équinoxe de printemps (le 9 mars selon le calendrier julien) et de la mort de Baba Dochia, «Sânziană» ou "Drăgaică " grandit de façon miraculeuse et atteint sa maturité au solstice d’été (le 24 juin du calendrier grégorien). C’est également à cette époque de l’année que notre Gaillet mollugine donne de petites fleurs blanches. La légende explique qu’en cette journée de solstice d’été, «Sânziană» marche sur la Terre ou vole à travers champs et forêts, accompagnée d’un cortège de jeunes fées. La danse effectuée par cette jolie troupe aurait un pouvoir bénéfique.

Dans la tradition populaire roumaine, la divinité agraire est représentée symboliquement par une couronne de «sânziană» et d’épis de blé. Cette effigie, aux pouvoirs miraculeux, est souvent portée par une jeune fille lors d’une cérémonie appelée «Dansul Drăgacei» (la danse de Drăgaică). La couronne peut être accrochée à la fenêtre, sur le portail, à l’entrée du village ou du cimetière pour protéger les hommes, les animaux et les récoltes des désastres naturels. Les coutumes diffèrent bien sûr selon les zones ethnographiques. La couronne est parfois lancée par dessus le toit de la maison ou de la grange. Selon la façon dont elle retombe ou reste accrochée sur le toit, les villageois peuvent prédire l’avenir. Va-t-on vivre en bonne santé cette année? La mort est-elle proche? Pauvreté richesse dans le foyer? La fille de la maison va-t-elle se marier?

Une autre divinité, masculine cette fois-ci, qui marque dans le calendrier populaire le milieu de l’été agraire et la période des moisson: «Sânpetru de Vară» (Sânpetru d’Eté). Dans le calendrier chrétien, nous le retrouvons sous le nom du Saint Apôtre Pierre. L’image populaire le montre comme un homme ordinaire qui travaille les champs, élève des animaux et s’occupe à la pêche. Son frère, «Sânpetru de Iarnă» (Sânpetru d’Hiver) est considéré comme le patron des loups. Homme très croyant, besogneux et exemplaire, «Sânpetru» est appelé par Dieu au ciel et prend la responsabilité des portes et des clefs du Paradis. A l’occasion des Grandes Fêtes, à Noël, au Réveillon, à l’Epiphanie, pour «Sângiorz» ou «Sânziene», il est possible de l’apercevoir, le ciel s’ouvrant un court instant, on le voit à table, à la droite de Dieu. Sânpetru est le Saint le plus connu du Calendrier populaire. Célébré le 29 juin, sa fête est précédée d’un «post» (jeûne) dont le nombre de jours peut varier. A l’époque, on considérait certains repères cosmiques et terrestres comme annonciateurs de cette fête: le retour entre autres de la constellation "Găinuşei", l’arrêt du chant du coucou, l’apparition des lucioles...

Cinquante jours après Pâques, «Rusaliile» est une fête très importante du calendrier chrétien. Elle doit commémorer la descente de l’Esprit Saint sur les Apôtres. Dans la tradition populaire «Rusaliile» sont des femmes qui grâce aux plantes médicinales peuvent soigner toutes sortes de maladies. Armées jusqu’aux dents, elles punissent sévèrement toutes les personnes qui oseraient travailler durant la semaine. Le lundi qui suit le dimanche des «Rusalii» est réservé aux morts et des repas sont organisés en leur mémoire.

Durant le mois de juin et spécialement en cette semaine de «Rusalii», apparaissent également, dans certaines zones ethnographiques, les «Căluşari». La troupe de jeunes danseurs, s’est constituée selon des règles strictes et une hiérarchie bien déterminée. Le principe de base, pour ces jeunes gens tout habillés de blanc est de représenter la solidarité du village, prenant pour référence la fameuse devise «tous pour un et un pour tous». Le groupe, comme entité construite, représente la collectivité entière, et comme chaque maison est une entité de la communauté, chaque foyer sera visité !

Des colliers de «visine» en parure, des couronnes fleuries pour prévenir les intempéries, un Saint paysan dont la fête fait taire le coucou, des herboristes "en herbes" et leurs pouvoirs de guérison, de jeunes garçons qui dansent pour le retour de l’Eté … C’est sûr, vos mois de juin ne seront plus jamais les mêmes !

vendredi 13 juin 2008

En quête d’Art !

Highslide JS

Ce qui avait beaucoup étonné Daria Arkadievna, c’était qu'Armand De Massari ait accepté aussi facilement la rencontre. Elle connaissait bien Olivier Chagny et son manque de tact légendaire. Pourtant, le frère et ‘‘agent’’ du jeune artiste, avait accepté sans état d'âme. Vendredi 18 mai à 10 heures, Armand De Massari se prêterait volontiers à l’interview. Malgré ses origines, ce fils et arrière petit-fils de peintres, ne ressemblait en rien aux artistes italiens, fiers comme leur patrie et ardents comme son azur éclatant. Quand il refusait les entrevues, il ne le faisait jamais avec outrecuidance. De nature douce, timide et insouciante, il aimait pieusement l’Art et goutait peu la superficialité médiatique. Si ses œuvres avaient fini un jour par être exposées - une révélation pour les amateurs d’Art - c’était en fait avant tout sous l’initiative de son aîné, Ares De Massari. L’interview aurait d'ailleurs lieu à la Villa Alvise Vivarini, propriété familiale où son frère séjournait habituellement quand il se rendait en France.
Cet article était une véritable aubaine pour l’Almaviva et c’est avec empressement que Chagny envoyait Daria Arkadevna recueillir les propos de l’artiste. Cette spécialiste de la rubrique ‘‘Culture’’, n'avait plus à faire ses preuves dans le milieu de la presse. Ses critiques, petits bijoux d’éloquences et d’enseignements, étaient toujours vivement attendus par le monde des Arts et de la Littérature. Son élégance persuasive la faisait passer partout. Elle le faisait cependant avec discrétion sans jamais se montrer importune. C’était d’abord son amour pour la lecture et l’écriture qui l’avait poussée à exercer le métier de journaliste et non, comme beaucoup de ses confrères, une bonne part de curiosité morbide. Cette artiste de talent savait, elle aussi, rester modeste.
Ce matin, pourtant, le directeur de l’Almavia semblait préoccupé. D’ordinaire, quand Daria Arkadievna, de tempérament assez bilieux, demandait conseil à Olivier Chagny, celui-ci la taquinait sans y aller vraiment d'avis péremptoires, preuve de la grande confiance qu'il plaçait en elle. Cette fois, étonnement, il l’avait assommée de recommandations plutôt étranges à première vue. Quelques plaisanteries avaient bien sûr ponctué son discours, mais son insistance sur certains détails et son regard inhabituellement sérieux laissaient suggérer une ‘‘mission’’ plus insolite. Ce n'était pas une simple interview à visée culturelle qu'on lui confiait mais une véritable enquête. Observations des lieux, des objets, des attitudes de chacun. De l’artiste, bien sûr mais aussi du personnel et surtout du frère, Ares De Massari. Elle devait s’introduire dans ce joli monde dans un rôle de véritable agent double! La jeune journaliste n’était pas sans ignorer l’affaire du vol: la semaine précédente deux tableaux de la collection familiale avait été dérobés. Cela avait fortement animé la région. Sans poser plus de questions à Olivier Chagny, signe de sa grande confiance en l'homme, elle partit à la rencontre des frères De Massari.
La Villa Alvise Vivarini abritait une riche collection de peintures, de précieux objets et un somptueux mobilier aux styles variés. De l’extérieur, à elle seule, la bastide était un petit joyau artistique. Des vitraux ornementaient ses ouvertures et un parc boisé où musaient de gracieuses sculptures, encerclait la demeure. L'esthète ne pouvait que se réjouir de cette visite! Quel personnage se cachait derrière le mystérieux et talentueux Armand De Massari? Qui était l’auteur du vol des tableaux? Dans cette nouvelle aventure qui va la mener sur les chemins de l’Histoire de l’Art, Daria Arkadievna devra, une fois encore, faire preuve de beaucoup d'imagination et d'une belle perspicacité…